Couteaux : l'acier dans tous ses états
Notions de métallurgie
LAMES DE COUTELLERIE
Qualités recherchées pour une lame de couteau
Rigidité
La lame ne doit pas céder sous un effort. Dans certains cas une certaine élasticité est requise (lames longues) .
Dureté
Le profil de la lame ne doit pas être altéré. En particulier l’affûtage doit résister ; il ne doit ni cranter, ni écailler.
Inaltérabilité
La corrosion ne doit pas, dans les conditions normales d’emploi attaquer le tranchant et la surface de la lame.
Les moyens de satisfaire à ces qualités
Le choix de la matière
Le choix de l’acier comme base du métal employé pour la fabrication de la lame est le choix actuel courant. C’est toujours la même recette – comme la mousse au chocolat – mais ce sont les dosages qui diffèrent. Qualité du chocolat, beurre en quelle quantité, œufs, alcool ou pas etc. C’est ainsi que l’on arrive à des saveurs subtilement différentes. C’est la même chose pour l’acier.
Première recette : l’acier au carbone
L’acier est composé de cristaux de fer pur entre lesquels sont répartis des grains de carbone. Ce carbone provient de l’opération de brûlage par du coke dans le haut fourneau de l’oxygène du minerai de fer, un oxyde de fer. Les grains de carbone contenus dans le liquide en fusion recueilli du haut fourneau n’ont ensuite été brûlés que partiellement dans les fours d’aciérie, quelque soit le procédé.
Pour que le métal obtenu soit un acier, il est nécessaire que la teneur en carbone soit inférieure à 2%. Un métal dont la teneur est supérieure à cette limite est une fonte. Les différentes variétés de fontes sont toutes cassantes. Leur utilisation en tant que lame n’est pas envisageable.
La teneur en carbone de l’acier conditionne sa résistance à la rupture. Les plus faibles teneurs sont celles des aciers dont la malléabilité permet un travail ultérieur, souvent à froid comme un usinage, un emboutissage ou un tréfilage. Une teneur un peu plus élevée correspond à des emplois sans mise en forme ultérieure et requérant une plus grande solidité, comme les rails ou les armatures de béton.
La fabrication des ressorts, des outils de coupe mécanique, des scies nécessite la mise en œuvre des gammes d’aciers les plus chargés en carbone. Leurs teneurs varient de 0.6% à 0.75% le plus souvent ; ce sont les aciers appelés « aciers durs ». Des aciers encore plus chargés en carbone peuvent aussi être employés, dont la teneur est comprise entre 0.75% et 1.2%, mais leur travail de façonnage est beaucoup plus difficile et ils sont plus fragiles ; ce sont les aciers appelés « aciers extra-durs ». On atteint maintenant des duretés proches de celles des céramiques.
La coutellerie se borne à l’utilisation des aciers durs et extra-durs. Ces aciers conduisent à des lames qui répondent sommairement aux exigences de rigidité et de dureté et médiocrement aux exigences d’inaltérabilité. Elles ont, par contre, de grandes qualités de souplesse et permettent des affûtages très efficaces (par ex. l’affûtage dit « rasoir » ou « samouraï »).
Ces aciers sont nommés dans les normes françaises avec les lettres XC suivies de la teneur en carbone en dix millièmes de pourcent ( ex : XC75 pour de l’acier à 0,75% de carbone). Pour connaître l’appellation des normes américaines, il suffit de remplacer XC par 10 (ex : 1075)
Seconde recette : les aciers alliés - les aciers "inoxydables".
L’adjonction à de l’acier à teneur plus ou moins élevée en carbone de métaux comme le chrome ou le nickel, ou les deux à la fois conduit à un métal pourvu d’une meilleure résistance aux corrosions. Les aciers inoxydables utilisés pour la fabrication des lames de couteau sont, en général, le plus souvent exempts de nickel.
Le plus connu est appelé, selon la norme U.S., l’acier 440 ; il comporte parfois une faible addition de molybdène, pour faciliter le traitement thermique à la mise en œuvre. Mais, il faut bien différencier deux grades dans cette nuance, que les fabricants omettent fréquemment de mentionner. Le grade C (440C) a une teneur en carbone de 1% et porte 13% de chrome ; il conduit quand il a été mis en œuvre correctement à des lames dont l’affûtage est très résistant. Les fabricants japonais proposent l’ATS-34, une qualité aux performances très proches ; c’est une appellation, sans que ce soit une norme, si bien qu’il y a de petites différences en teneur d’additifs selon l’aciérie productrice. Son affûtage est un peu plus délicat que celui du 440C, mais un peu plus durable. Ces deux qualités sont les meilleures pour les lames courtes et pointues (couteaux de chasse, poignards, etc.). Il faut citer une qualité presque équivalente maintenant abandonnée par les aciéries au profit du 440C mais dont il existe encore des stocks : son appellation est 154 CM. Il est progressivement abandonné pour la coutellerie car il entraîne des usures d’outillage de fabrication et des coûts d’entretien excessifs sur cet outillage.
Le grade A (440A) a une teneur en carbone de 0,7% seulement et porte 15% de chrome. Les qualités de lames qu’il permet d’obtenir sont moins bonnes que pour le grade C, principalement quant à la tenue à l’affûtage ; toutefois ce dernier en devient plus aisé. Sa résistance à la corrosion est moins bonne aussi et les lames prennent une couleur brune quand elles sont stockées longuement dans un étui. Les aciers 440A coûtent beaucoup moins cher que ceux du grade C. Aussi sont ils employés pour la fabrication de couteaux de qualité moyenne, principalement des couteaux de poche. Leurs lames sont souvent estampillées « 440 » sans indication de grade, laissant planer un doute sur la véritable nuance d’acier. Les nuances appelées 6A et 12C27 sont des nuances très proches du 440A. Les AUS sont des nuances japonaises de cet acier.
Le grade B (440B), nuance intermédiaire, a été abandonné par les aciéries. Il existe aussi une nuance 440V dans laquelle le molybdène en addition est remplacé par du vanadium, qui conduit à des résultats meilleurs et plus aisés lors de l’élaboration thermique ; de plus, la résistance de l’affûtage en est améliorée.
Certains alliages comportant, en plus du chrome, du nickel peuvent être utilisés en coutellerie. Cette teneur n’a aucun effet direct sur la qualité des lames, mais cet effet intervient lors de l’élaboration thermique ; il sera décrit dans le paragraphe qui y est consacré.
Il faut se souvenir que la nuance la plus célèbre des aciers inoxydables, le 18-8, qui contient 18% de chrome et 8% de nickel, n’est pas un acier de coutellerie. Ses qualités d’aspect au polissage et de formabilité le destinent à la chaudronnerie et aux transformations du même genre ; c’est, de plus, une nuance non magnétique.
Un tableau complet des dénominations et des compositions ne sera pas présenté ici car c’est trouvable partout en ligne sur internet, par exemple chez M. Fioretti : Les Aciers
L’élaboration thermique.
Comme en cuisine, la cuisson est fondamentale. Même si vous avez les meilleurs ingrédients, si vous laissez cramer votre plat, ce sera immangeable. Certaines marques ont fait ainsi la triste expérience d'un 440C avec un mauvais traitement thermique, rendant l'aiguisage impossible. Ce traitement relève du secret de fabrication et n'est appréciable par l'utilisateur qu'après test.
Notions générales sur les états de la matière acier
Le spectacle de l’intérieur d’un four d’aciérie porté à 1500 ou 1600 degrés, une fois chaussées les lunettes spéciales très semblables à celles qui servent à admirer une éclipse de soleil, révèle une surface blanche bouillonnante semblable à la surface de l’eau de la casserole dans laquelle on se prépare à faire des oeufs à la coque. Il y a peu de différence entre le comportement de l’eau et celui de l’acier, sinon que la première gèle à zéro degrés et que le second se solidifie entre 1550 et 1400 degrés. Ceci entraîne que, dans la vie courante, on est beaucoup plus familier avec les différentes formes de la glace qu’avec celles de l’acier qui apparaît toujours comme une masse dense, froide et grisâtre. Au contraire, l’eau, quand elle se solidifie, prend l’aspect translucide des stalactites de la fontaine, des flocons de neige ou des cristaux qui brillent sur les talus en hiver ; les nombreux habitués de la montagne savent bien que ces cristaux n’ont pas le même aspect suivant que la pente d’un talus les expose au soleil le jour et les laisse refroidir la nuit ou qu’ils sont dans une zone qui reste à l’ombre toute la journée.
Les familiers des hivers dans les ports des mers froides et ventées ont tous vu tous les aspects inattendus que peuvent prendre les paquets gelés d’eau de mer en fonction de l’exposition au soleil, au ressac et à la marée,ou au vent qui provoque des refroidissements et des réchauffements plus ou moins rapides.
Cette référence à l’eau de mer, moins courante dans la vie de chaque jour d’hiver, serait la plus proche de la nature de l’acier. En effet, l’eau de mer est une solution dans l’eau, principalement de sel marin et de quelques autres matières. De même, l’acier est une solution de divers éléments dans une masse de cristaux de fer de carbone ; la fonte est aussi une solution, plus concentrée au-delà de 2%.
Il est donc normal qu’il se passe au sein de la matière acier, des phénomènes analogues à ce que l’observateur peut voir à l’œil nu dans l’eau et la glace quand la température descend en dessous de zéro degrés. Mais, pour le constater, il est nécessaire de disposer de microscopes puissants et de moyens mécaniques et chimiques de préparation des surfaces d’acier à observer, car, de quelque manière que l’on ait séparé un échantillon, la coupure opérée dans la masse d’acier en a saccagé la surface. C’est pour cela que les installations industrielles pratiquant une élaboration thermique sur l’acier, doivent, pour être sures de leurs fabrications, se doter de laboratoires de métallographie suffisamment équipés.
Au cours des millénaires passés, les forgerons ont pratiqué un art de l’élaboration thermique des aciers fondé sur la pratique, l’observation et l’expérience des emplois. Cet art n’a pas manqué d’efficacité, mais il ne s’est guère appliqué qu’au traitement d’aciers au carbone peu chargés en additions. Les investigations scientifiques des époques récentes ont confirmé leurs pratiques et en ont expliqué les raisons.
Certains fabricants se prévalent de produire, souvent à côté d’ateliers industriels, des couteaux à l’ancienne, allant même parfois jusqu’à obtenir leur acier au carbone par des procédés maintenant abandonnés depuis plus d’un siècle, comme le puddlage (procédé de réduction du minerai de fer au charbon ou au coke, chauffage à blanc puis martelage long pour « pousser » les scories à l’extérieur du métal, éliminant ainsi le surplus de carbone – la tour Eiffel est en fer puddlé) ; ils produisent aussi artisanalement des couteaux à partir de loupes d’acier achetés auprès d’aciéries fines ; celles-ci ont étudié le comportement de leurs produits dans les phases d’élaboration et leur livrent avec le produit les schémas de traitement à utiliser. Ces couteaux ont un intérêt de collection, témoins du passé, ou servent à des reconstitutions historiques du spectacle.
Les différents états de l’acier au carbone à basse température.
L’acier est une solution solide de carbone dans du fer entre la température ambiante et la température de fusion. Des additions ou des alliages y ont été opérés.
Les cristaux de fer pur ont une forme cubique, dite centrée ou non, dans laquelle peuvent se fixer des atomes de carbone qui se trouve ainsi dissous dans le fer : c’est une dissolution et non une composition chimique.
La forme la plus pure et la moins chargée en carbone est la ferrite, appelée aussi « fer a ». Le cristal cubique centré peut accueillir un seul grain de carbone au centre de deux de ses faces opposées, si bien que la teneur en carbone ne peut pas dépasser une très faible limite. Elle atteint à 727°C la valeur maximale de 0,0218%. Elle ne dépasse pas 0,01% à température ambiante. Elle s’annule à 910°C ; au-delà, la ferrite ne peut plus exister. C’est donc un acier sans aucun intérêt en coutellerie. Il est utilisé pour ses qualités magnétiques.
Mais, l’adjonction de 15 à 30% de chrome à de la ferrite permet d’obtenir des aciers dits ferritiques. Ces aciers gardent la structure cristalline ferritique à des températures supérieures à 910°C. Ils ont la propriété d’être très peu sensibles à la corrosion jusqu’à 1100°C ; leur dureté est faible. Ils n’ont donc pas, non plus, d’intérêt pour la coutellerie. Il sont utilisés pour les échangeurs de chaleur et pour les pots d’échappement catalytiques.
Lorsque l’on charge un acier en carbone, les cristaux de fer sont incapables d’accepter plus de molécules. Le phénomène qui se produit est alors, non plus une dissolution, mais une transformation chimique qui produit de la cémentite. : un carbure de fer dont la molécule est composée d’une molécule de carbone associée à trois molécules de fer. Il s’établit alors dans la masse de l’acier un équilibre entre la ferrite et des globules de cémentite au sein d’une suspension, les globules de cémentite étant d’autant plus nombreux que la teneur en carbone est élevée. L’acier ainsi constitué est appelé perlite. Les déformations mécaniques apportées aux pièces en acier se propagent dans la matière par glissement des cristaux de ferrite sur les grains de cémentite. Plus il y a de perlite, plus les glissements sont difficiles, donc plus l’acier est dur.
L’acier au carbone porté au rouge cerise (720°C environ) et laissé refroidi lentement développe une structure où chaque élément prend sa place avec des contraintes minimum. On obtient alors une perlite globulaire.
Si l’acier porté au rouge cerise est déformé pendant son refroidissement, sa structure interne peut d’autant moins suivre les variations de forme de la pièce qu’elles sont rapides : c’est le cas de l’estampage et du laminage à chaud (plus on tape vite et fort, moins la structure cristalline se "regonfle" et moins l’acier sera déformable). C’est aussi le cas de la forge industrielle au marteau-pilon ; la forge manuelle au marteau ou au marteau-pilon artisanal permettait de moduler la vitesse de déformation au gré de l’art du forgeron. Les dégâts subis par la structure interne du métal sont encore plus marquantes si la déformation a eu lieu à froid comme par laminage, tréfilage ou déformation à froid. La ferrite et la cémentite sont alors écrasées les unes contre les autres en lamelles ; elles sont d’autant plus fines que la transformation a été opérée à température basse. On a obtenu une perlite lamellaire. A teneur en carbone donnée, la dureté de l’acier est d’autant plus élevée que la structure de la perlite est finement écrasée.
Trempe et revenu des aciers au carbone.
Les considérations précédentes sur la structure de l’acier au carbone permettent de comprendre les procédés traditionnels de la forge au marteau.
La déformation du métal, d’autant plus dur qu’il est chargé en carbone, ne peut être obtenue aisément qu’en le portant au rouge cerise ou au delà ; plus chaud encore, on tombe dans une zone d’état de la matière où elle devient moins aisément contrôlable. Cette déformation entraîne des déchirements internes de la matière qui en diminuent la malléabilité.
Si l’on veut garder les qualités de dureté induites par le travail effectué, il faut ramener la pièce travaillée à basse température le plus vite possible. C’est l’opération de la trempe.
Au contraire, si l’on veut sauvegarder la ductilité (propension à se déformer à froid) originale de l’acier, il faut que la structure globulaire interne se reconstitue : il faut alors ne lui permettre de refroidir que très progressivement, ce que les forgerons à la main font en la plaçant près du foyer de la forge pour un bon moment. On procède alors à un refroidissement contrôlé.
Si la déformation qui a été appliquée à la pièce a été faite à froid ou à température insuffisante, -par exemple, adaptation d’une pièce métallique à un support en bois – et que l’on veut restituer à l’acier sa ductilité originale il convient alors de la réchauffer suffisamment et de l’y maintenir le temps que la perlite globulaire se reconstitue. C’est l’opération du revenu.
Les deux opération de trempe et revenu sont entièrement réversibles pour le traitement de l’acier au carbone, à condition de ne pas dépasser la température rouge cerise, 720°C.
Ces deux opérations ont été présentées dans un cadre qui rappelle les pratiques de la forge de tradition, car elles sont très anciennes. Elles sont effectuées selon les mêmes schémas dans les installations industrielles modernes ; seules, les quantités mises en œuvre, la taille des outils sont à une échelle supérieure. Les conditions de températures et les temps de transformation sont, par contre, déterminés et contrôlés avec une plus grande précision que par l’habitude du métier qui prévalait autrefois. La fiabilité des produits mis sur le marché s’en trouve donc accrue.
Les différents états de l’acier au carbone à haute température.
La température de 721°C est une température critique pour l’état cristallin de l’acier (sauf pour la variété très peu chargée en carbone, la ferrite pure).
Au dessus de cette température, la structure cristalline des molécules de fer commence à changer. Des cristaux, toujours cubiques, acquièrent une nouvelle répartition des molécules : il s’agit de fer g. Les cristaux de fer a retenaient une molécule à chaque sommet du cube, soit, au total, huit molécules. Les cristaux de fer g sont chargés d’une molécule supplémentaire au centre de chaque face du cube, soit un total de quatorze molécules. Cette variété de cristaux de fer est appelée austénite.
Ces cristaux peuvent se charger de carbone à raison de deux molécules de carbone par face du cube. Le taux de dissolution du carbone dans l’austénite pourra donc être supérieur à celui observé dans la ferrite, ce qui conduira à un acier à teneur plus grande en carbone. Cette capacité à dissoudre le carbone est variable en fonction de la température : le minimum de température auquel il apparaît est 721°C pour une concentration en carbone de 0,85%. Pour des concentrations plus faibles, il faut atteindre une température plus élevée ; elle est d’environ 850°C pour une teneur de 0,5% en carbone, de 906°C pour la ferrite. Pour les concentrations supérieures à 0,85%, ce qui est le cas des aciers de coutellerie, il faut atteindre aussi une température de plus en plus élevée quand cette teneur augmente ; elle est de 1200°C quand la teneur est 1,7%. La température de transformation cristalline reste alors constante quelque soit une teneur supérieure, mais on quitte la gamme des aciers pour avoir affaire à des fontes.
(On trouve, dans les manuels de métallurgie des « Diagrammes fer + carbone » qui reprennent graphiquement ces phénomènes. Lorsqu’ils sont très complets, ils décrivent aussi des phénomènes de détail dans les élaborations thermiques des aciers alliés.Leur description conduirait à des développements abondants qui alourdiraient copieusement ce présent texte. Ils peuvent toutefois jouer un rôle important dans l’obtention des qualités d’acier de coutellerie.)
Les cristaux étant plus chargés en molécules conduiront à un matériau plus dense et plus dur.
La transformation de ferrite en austénite s’accompagne de diminution de volume de la pièce de métal et d’une absorption spécifique de calories.
Comme la ferrite, l’austénite peut se trouver à l’état pur dans les aciers, mais dans une zone de conditions du couple teneur-température bien plus étendue que pour celle-là.
Comme pour la ferrite, la solubilité du carbone dans les cristaux de fer ne peut pas dépasser la teneur limitée par la structure cristalline. Si l’on travaille un acier pour lequel elle dépasse le seuil de saturation, il se forme aussi des carbures de fer, la cémentite, qui se juxtapose aux cristaux d’austénite.
On a alors dépassé des conditions d’équilibre des constituants appelée « limite d’austénisation ». Les aciers de coutellerie ont une teneur en carbone qui conduit toujours à un mélange d’austénite et de cémentite, sauf, peut-être aux nuances les moins chargées en carbone pour lesquelles il peut alors rester des grains de ferrite à la place de la cémentite. Ceci est une explication supplémentaire des performances médiocres des tranchants des lames ainsi composées.
Il faut remarquer que les températures de forge ou d’estampage, qui sont couramment supérieures à la limite d’austénisation, peuvent conduire, à la trempe, à voir persister des cristaux d’austénite. Ceci est d’autant plus possible que le refroidissement est rapide, ne laissant pas le temps aux transformations cristallines de se produire. On trouve là une explication aux différences de dureté obtenues avec des aciers de même teneur soumis à des trempes différentes : à l’eau, à l’huile, à l’air ou, au cours de la fabrication, du fait de la dégradation de température des bains de trempe.
L’élaboration thermique des aciers alliés.
Ambiguïté des appellations des aciers alliés
Deux métallurgistes célèbres ont laissé un souvenir dans les études sur la structure des aciers en fonction de la température de refroidissement brutal, c'est-à-dire du processus de trempe : ce sont l’anglais Austen et l’allemand Martens. Leurs noms ont été choisis pour être à l’origine des appellations des deux plus importants états pris par la solution de carbone dans le fer : la martensite et l’austénite. Il faut se rappeler que ces états peuvent être trouvés dans tous les types d’acier, qu’ils soient au carbone seul ou alliés. Mais ces découvertes ont été faites à l’occasion de campagnes d’études sur les élaborations thermiques d’aciers alliés, principalement d’aciers inoxydables.
Les travaux d’Austen sont antérieurs à ceux de Martens. Ils ont porté sur le résultat de divers processus de trempe ; ils conduisaient à des refroidissements différents du métal, conséquences des écarts de température des moyens de trempe courants. Le phénomène se bornait à une transformation du fer g en fer a et l’on aboutissait à des aciers soit purement ferritiques soit contenant une proportion austénitique plus ou moins grande en fonction de la rapidité de la chute de température prise par la masse au cours de la trempe. Les nuances qui conduisaient aisément à de tels résultats ont alors été classifiées « acier austénitique ».
On rencontrait aussi des aciers alliés dont la structure ne peut être que ferritique à quelque température qu’on puisse les porter ; ce sont les « aciers ferritiques » dont les qualités ne sont pas compatibles avec la coutellerie.
Lorsque les moyens techniques eurent progressé pour permettre des trempes extrêmement énergiques, telles que les trempes cryogéniques , par exemple dans de l’azote liquide, on a découvert une nouvelle structure prise par les cristaux de fer. Les cristaux ne sont plus cubiques mais quadratiques (ou tétragonaux) ; c'est-à-dire que la disposition des molécules ne se fait plus aux sommets d’un cube mais d’un parallélépipède rectangle. On a nommé « martensite » l’acier qui correspond à cette structure du fer ; c’est, comme tout acier, une solution de carbone dans du fer, mais une telle forme ne peut apparaître qu’en dessous d’une température de l’ordre de 180°C. La transformation cristalline est d’autant plus complète que la température est basse ; mais, comme la température qui correspondrait à une transformation totale est largement inférieure aux températures qui peuvent être atteintes, il reste toujours dans l’acier obtenu une part d’austénite. Cette forme d’acier est instable, les cristaux martensitiques de fer reprenant irréversiblement la structure cubique lorsque la température s’accroit depuis la température ambiante vers la précédente limite. On a donné le nom d’ « acier martensitique » aux nuances d’acier capables de prendre ces structures exceptionnelles et instables. Leurs qualités de dureté, héritées de leur grande teneur en carbone et de la présence d’austénite, les rendent très intéressantes pour la coutellerie. Elles demandent toutefois des élaborations techniques délicates et elles contraignent à des entretiens des lames dans des conditions rigoureuses, en particulier lors des affûtages.
Il a résulté de la coexistence de la notion de teneur en composants, alliages et additions, et d’une multiplicité de structures cristallines possibles, une ambiguïté d’appellation des aciers alliés. La référence à leur nuance exacte conduit à une appellation normalisée ou commerciale bien définie quant à la teneur. Une référence à leur appartenance à une classe d’acier conduit à préciser le type d’élaboration qu’ils ont ou peuvent subir, la gamme de propriétés mécaniques qui peut en résulter et la teneur en alliages nécessaire pour obtenir ces résultats. Il faut retenir qu’une classe d’acier peut contenir plusieurs nuances, souvent de compositions voisines (cf. les 440C, 154CM et ATS34).
Influence des métaux d’alliage sur les phases de l’acier.
Comme l’acier est une solution solide de carbone dans le fer, il est compréhensible qu’introduire un ou plusieurs éléments supplémentaires dans cette solution va modifier les conditions d’apparition des phases observées pour le seul acier au carbone. Les éléments introduits peuvent se combiner avec les éléments intrinsèques de l’acier au carbone tant par leur solubilité dans les structures cristallines du fer que par leur aptitude à la formation de composés chimiques.
Certains d’entre eux, dont le chrome, limitent ou empêchent la formation d’austénite dans l’acier et augmentent ainsi le domaine d’existence du fer a dans l’espace température/teneur en carbone. On les appelle les éléments alphagènes.
Certains autres, dont le nickel, favorisent la formation d’austénite et la rendent plus stable. Le domaine d’existence de fer g se trouve donc agrandi. On les appelle les éléments gammagènes.
Non seulement, ces éléments d’addition ou d’alliage changent substantiellement les limites des zones de cristallisation dans l’espace température/teneur en carbone, mais aussi ils modifient les vitesses de transformation de la structure du métal. On peut donc en tirer parti pour régler à volonté les vitesses ou les amplitudes de température dans les opérations de trempe ou de revenu.
Certaines concentrations des éléments alliés sont même susceptibles de bloquer complètement les transformations cristallines. Ceci permet, par exemple, de rendre permanentes à température ambiante des qualités physiques ou chimiques qui ne sont obtenues qu’à des températures beaucoup plus élevées ou encore de bloquer dans le temps tout vieillissement des structures cristallines, source de détérioration de qualités.
Les aciéries fines proposent dans leurs gammes de fabrication une variété très abondante d’éléments d’alliage ou d’addition, souvent plusieurs pour une même nuance. Ces éléments sont loin de tous être employés dans les aciers de coutellerie.
Influence des métaux d’alliage sur les propriétés d’usage final.
Les métaux d’alliage utilisés dans la fabrication des lames de coutellerie sont, classés dans l’ordre de concentration usuelle en teneur décroissante, le chrome, le molybdène, le vanadium, le cobalt, le bore, le tungstène et le titane ou le niobium
Le cas particulier du nickel (N) – ou parfois le manganèse (M) – doit être traité à part. En effet, ce métal largement employé dans de nombreuses nuances, est d’un usage plus restreint et spécifique pour les aciers de coutellerie. Son emploi en teneurs élevées conduit à des aciers inoxydables de bel aspect, aisément déformables et soudables, souhaitables en chaudronnerie. Il n’est utilisé dans la coutellerie que pour favoriser la formation de martensite car il ralentit la transformation de l’austénite en cours de température décroissante, augmentant ainsi la trempabilité de l’acier. Mais utilisé en concentration trop importante, il bloquerait la structure en acier austénitique. Il convient donc, pour un acier à teneur en carbone aux environs de 0,85%, de limiter sa teneur à un maximum de 10%. Cette teneur est compatible avec les teneurs de chrome nécessaires à l’obtention des duretés souhaitées.
Le chrome (C) est l’élément d’alliage le plus utilisé pour la fabrication des aciers alliés, et très spécialement pour les aciers inoxydables de coutellerie. Il se répartit dans la structure de l’acier dans les cristaux de fer et dans les perlites. Il agit sur les températures de transformation du fer : son effet est très faible – de l’ordre d’une cinquantaine de degrés en moins puis en plus – tant que sa teneur augmente jusque 8% ; cet effet devient brutal en hausse si la teneur passe de 8 à une valeur supérieure qui dépend de la teneur en carbone de l’acier. Pour les aciers de coutellerie, l’effet de la teneur en chrome peut se faire sentir jusqu'à 30% de chrome.
La teneur en chrome provoque un déplacement du point de transformation vers une température plus haute que celle des opérations de trempe : elle ralentit donc la vitesse de transformation des austénites en ferrites. Mais au delà d’une certaine teneur de chrome en relation avec la teneur en carbone de l’acier, le point de transformation disparaît et l’acier reste dans l’état ferritique : il n’est donc plus trempable, ce qui est incompatible avec les nuances de coutellerie.
La présence d’un dosage convenable de chrome se manifeste par un ralentissement du retour des austénites à l’état de ferrite lors d’un refroidissement. Il sera donc favorable, dans la limite des teneurs qui n’auront pas inhibé la transformation austénitique, à l’effet de trempe, donc au durcissement thermique de l’acier ; une teneur austénitique importante y sera conservée. Il autorisera aussi un processus plus aisé vers un état martensitique. Enfin, le chrome ralentira la transformation vers les ferrites lors d’un revenu. C'est-à-dire qu’il stabilisera les pertes de dureté par vieillissement à température ambiante et diminuera la sensibilité de l’acier aux échauffements, comme ceux opérés lors d’affûtages trop rapides à la meule.
La teneur en chrome la plus courante pour les aciers de coutellerie est aux environs de 13% ; elle conduit à des aciers de comportement martensitique.
Une addition de nickel conduit à des aciers élastiques dont la souplesse ne convient pas à la coutellerie, sauf à la fabrication des sabres et fleurets. L’une des utilisations de cette nuance en tant que lame - débouché qui n’est pas négligeable – est la fabrication de grilles de rasoirs électriques. Le nickel augmente la résistance à la corrosion, ce qui permet, pour des produits dans le bas de la gamme de prix, de réduire la teneur en chrome, métal plus cher que le nickel.
Le molybdène (D) est un élément fréquemment incorporé aux aciers de coutellerie en petites quantités à côté du chrome. Il a des effets sur l’acier analogues à ceux du chrome, étant, lui aussi, alphagène. Son originalité est qu’il forme des carbures comme le fer, mais qui diminuent la malléabilité de l’acier alors moins chargé en carbures de fer ou perlites ; cela augmente la cohésion entre les grains austénitiques. Il augmente la trempabilité.
Le tungstène (W) et le vanadium (V) ont des effets similaires mais accentués. De prix supérieur à celui du molybdène, ces additions sont retenues pour l’obtention d’aciers particulièrement durs et résistants.
Le titane (T), le nobdium (Nb) - et aussi l’aluminium (A) - ont pour fonction principale d’être des puissants désoxydants qui interviennent à la coulée de l’acier dans la lutte contre les impuretés.
On les retient parfois en tant qu’additions, profitant d’une présence préalable. On en règle alors la teneur car ils forment des nitrures avec l’azote qui est généralement présent dans l’acier. Ces nitrures bloquent les joints entre les grains austénitiques et empêchent leur grossissement lors de l’élévation de température. A la trempe, ces grains garderont une structure très fine dans l’acier obtenu, ce qui conduira à des propriétés mécaniques de haute qualité. On pourra même profiter de la présence de nitrures de titane ou de niobium – en lieu et place de perlite – pour les faire précipiter en couche superficielle durcissante (cf. les revêtements de certains Benchmade).
Le cuivre (U), en petites quantités, est parfois utilisé pour accroître la résistance à la corrosion.
On utilise encore d’autres éléments complémentaires dans les aciers alliés pour répondre à des besoins très spécifiques de leur utilisation. On rencontrera en coutellerie le cobalt (K) qui permet de créer des structures cristallines particulières. On rencontrera aussi le bore (B) qui accroît la trempabilité en quantités très faibles ou qui accroît les qualités mécaniques de métaux utilisés à température élevée.
Procédés métallurgiques
Les lames composites
Il est venu très tôt à l’idée des forgerons que, pour bénéficier sur une même lame des qualités de solidité et de tranchant, on pouvait imaginer d’associer deux aciers de type différent. Il fallait alors essayer de rendre solidaire deux masses en acier de deux nuances différentes. Le problème rencontré d’emblée était de créer une cohésion suffisante entre les deux éléments.
Tant que les techniques de forge pratiquées consistaient à un travail en foyer ouvert, il était difficile d’obtenir un résultat satisfaisant, sauf en employant une technique devenue célèbre décrite ci-après. L’apparition de fours fermés dans les forges, susceptibles de conduire à un travail à plus haute température, puis de forge sous atmosphère de gaz inerte a permis de produire des lames de qualité dont la cohésion est suffisamment durable.
Il existe donc des lames laminées ou lames sandwiches obtenues en laminant par martelage ou au laminoir un sandwich de deux aciers différents, la nuance centrale étant susceptible de dureté élevée – acier très carboné par exemple – et la nuance des couches extérieures dotée d’une grandes résilience (s’étire sans se rompre) et ductilité (propension à se déformer à froid) – acier moins riche en carbone avec des addition telles que le manganèse.
Les lames bimétalliques sont fabriquées en mettant en œuvre une idée puisée dans l’observation des outils de coupe des ateliers de mécanique : une plaquette - l’outil proprement dit - est rapportée sur une monture porte outil. La lame de coutellerie est alors constituée de deux parties : une corps de lame de résilience et ductilité élevées, et un tranchant propre à l’affûtage, le plus dur et le mois fragile possible. La liaison entre les deux parties est assurée par une soudure : pour être efficace, cette soudure doit mettre en œuvre des techniques très élaborées assurant une cohésion intime des deux métaux en présence par création de zones réticulées (accrochage des molécules de manière préférentielle, dans un état où elles se « sentent bien »). La fabrication de telles lames met en oeuvre des installations coûteuses et délicates d’emploi. Elles ne sont guère utilisées que si le fabricant recherche des qualités spéciales, par exemple : les lames à affûtage dit « samouraï » .
Le cas particulier des lames damas.
(Il ne faut pas confondre les lames « damas » et les lames « damasquinées ».
Les lames damas résultent d’un procédé d’élaboration de l’acier spécifique propre au métier de forgeron.
Les lames damasquinées sont des lames forgées de manière courante qui sont reprises ensuite pour être travaillées et principalement incrustées avec des matières d’apport – principalement métalliques – Elles résultent d’un travail d’orfèvre.)
La fabrication des lames damas remontre très avant dans les millénaires passés. Les forgerons aux moyens encore rudimentaires ont eu l’idée d’assurer la cohésion des deux métaux employés – un fer longuement puddlé très riche en ferrite et peu chargé en perlite et une fer sommairement puddlé, donc très carburé, prenant bien la trempe, même peu énergique. Le procédé, purement mécanique consistait à vriller les deux métaux portés à température de déformation, puis à pratiquer un forgeage de mise en forme à température décroissante. Cette double opération était pratiquée de nombreuses fois à la file. Elle était arrêtée par une trempe.
On ne sait rien sur le procédé de fabrication, dit mérovingien, utilisé avant le Xème siècle ; aucune référence écrite n’a pu être trouvée ; aucune fouille archéologique n’a encore livré une lame damassée sur laquelle un travail d’analyse ait pu être pratiqué.
A la même époque, un procédé appelé oriental – ou « wootz » - était pratiqué en Inde et en Malaisie. On n’en connaît pas les secrets non plus. Mais il semble que le mélange des aciers était fait en phase liquide ou pâteuse.
Le procédé encore utilisé maintenant a été appelé « damas japonais » et se pratique par martelage et étirement à la forge. La pratique courante est une reprise en forge généralement limitée à six fois ; la déformation mécanique appliquée après chaque passe de forgeage peut être, autre que le vrillage - repli, superposition après tronçonnage, roulage, etc. La fabrication se termine par une trempe de durcissement. Elle est suivie par une immersion de la lame refroidie dans un acide (souvent un secret de fabrication) qui révèle par une tonalité en gris-bleu plus ou moins soutenue, les variations de teneur en carbone dans la masse de la lame.
Les clubs de forgerons amateurs tiennent des congrès qui les rassemblent autour de compétitions amicales (surtout aux U.S.A.).
Des couteliers professionnels hébergent cette technique dans leurs ateliers et fabriquent ainsi des couteaux de collection ou de parade (reconstitutions historiques, cinéma,…) qui sont souvent signés et vendus très cher. Des aciers inoxydables de teneur en carbone élevée sont maintenant couramment utilisés dans ce procédé. On y trouve parfois des métaux alliés à forte teneur en nickel et en cuivre. On peut aussi soumettre le métal à une trempe cryogénique finale.
La complexité et les aléas de ce type d’élaboration conduit à des analyses chimiques et cristallographiques très complexes.
Les lames de fonderie
Les lames de coutellerie sont habituellement obtenues à partir d’une forme de matière première appelée loupe qui est fournie par l’aciérie dans la nuance désirée par le coutelier. Cette matière première est alors le plus souvent forgée (parfois simplement laminée) dans les conditions précises dépendant de la composition de l’acier et du résultat désiré (voir les développements qui ont précédé).
Il est venu à l’idée de quelques couteliers de réchauffer ces loupes au-delà de la température de fusion du métal pour les couler dans des moules et obtenir des ébauches suffisamment proches de la forme finale pour qu’il ne soit plus nécessaire que de faire des travaux de finition de peu d’ampleur tels que polissage et affûtage.
Du point de vue économique, une telle mise en oeuvre conduit à installer tout un équipement thermique spécialisé : four à haute température, générateurs d’atmosphères gazeuses de protection, cubilots de coulée, etc…, matériels courants dans les aciéries où leur usage s’applique à une gamme étendue de fabrication.
Du point de vue technique, le coutelier se trouve confronté à nombre de phénomènes qui appartiennent à des métiers autres que le sien, comme les éliminations de scories, les réfections de réfractaires, certain contrôles cristallographiques.
Les opérations habituelles de la coutellerie se trouvent donc remplacées par des opérations plus onéreuses et qui rendent indispensable l’apprentissage d’un nouveau métier.
L’idée fondamentale avait été pour le coutelier, la maîtrise des teneurs des nuances des aciers utilisés en assortissant des mélanges entre les nuances de loupes fournies par les aciéries. Il y avait aussi immédiatement eu l’idée de profiter des réticulations dendritiques engendrées lors de la solidification du métal pour avoir, à l’affûtage de nuances plus dures, un micro écaillage tenace qui engendrait un effet de scie durable.
La réticulation dendritique est un phénomène de structure qui tend à aligner des chapelets de cristaux autour d’un noyau central lors de la solidification lente de substances cristallisables. L’exemple le plus connu dans la vie courante est la formation d’étoiles de neige à partis des agglomérations de cristaux de glace.)
On rencontre donc parfois des lames dites « fondues » ainsi fabriquées.
La multiplication des nuances d’acier mises sur le marché par les aciéries et la mise au point d’affûtages mécaniques dentelés et de leurs techniques de taille ont enlevé quelque intérêt à la recherche des méthodes de fabrication par coulée.
Toutefois, il n’est pas impossible que de nouveaux processus de fabrication puissent les remettre à l’actualité.
Les lames en acier frittée ou Crucible Steels.
Le frittage des métaux est une technique apparue au milieu du XXème siècle avec les progrès combinés des coulées sous atmosphère inerte, des machines à compacter à très haute pression, et de fours à atmosphère contrôlée et de tout un appareillage de contrôle et de pilotage de ces équipements.
Les premières réalisations l’ont été avec des bronzes (cuivre, étain et additions diverses).
L’avantage essentiel est de pouvoir fabriquer en une seule opération des pièces qui, manufacturées sur des machines mécaniques auraient conduit à de nombreuses reprises d’outils dans la séquence des opérations de taille. Un tel mode de fabrication aurait aussi pu conduire à scinder la pièce en plusieurs parties à assembler par la suite. La solution de la coulée traditionnelle sous forme liquide dans un moule aurait conduit à des états de surface internes et des tolérances de cotes incompatibles avec le fonctionnement prévu pour la pièce à fabriquer.
Depuis la période du début de la pratique industrielle de ce procédé, des progrès importants ont été réalisés, en particulier quant à la pression que l’on est capable de faire régner, quant à la température à laquelle on peut presser et quant à la neutralité de l’atmosphères dans laquelle le travail est effectué.
Le procédé est maintenant applicable aux éléments d’un acier allié utilisable en coutellerie. Il l’est, d’ailleurs, pour des éléments métalliques encore plus réfractaires et moins faciles à maîtriser que les précédents.)
1. Une fois déterminée la nuance d’acier à laquelle on veut aboutir, on rassemble les poudres de métaux qui la composent. C’est de l’acier à la teneur en carbone voulue, du chrome, du nickel, du manganèse ou tout autre métal qui convient pour arriver à la nuance alliée. Le procédé de frittage autorise toutes les innovations que l’on peut imaginer dans un éventail de choix plus large que pour les aciers alliés traditionnels. On citera l’incorporation de poudre de carbone graphite, et surtout celle de toute la gamme des céramiques réfractaires. Toutes ces poudres sont obtenues par tous procédés susceptibles d’aboutir à la formation de poudre et qui procèdent d’actions mécaniques, chimiques ou électriques. Pour les métaux, c’est souvent par injection pulvérisante de métal liquide ou par soufflage du métal en fusion par un jet d’air ou de vapeur d’eau dans une chambre à atmosphère contrôlée. Cette fabrication est le travail d’un métallurgiste spécialisé dans la production de ces poudres.
2. Les poudres sont mélangées dans une chambre de brassage en proportions voulues. On les additionne d’un liant généralement liquide et d’un autre liant pâteux afin d’obtenir une substance pâteuse aisée à mouler.
3. La pâte est injectée à très haute pression dans un moule conçu comme un moule de fonderie classique. Pour une pièce peu contournée comme un ensemble de lames de coutellerie, ce n’est guère qu’un moule à ouverture simple.
4. La pâte est chauffée dans le moule où l’on maintient la haute pression d’injection ; il se débarrasse alors des liants les plus volatiles. La pâte remplit alors les formes exactes du moule.
5. La pression de compactage est ensuite développée. Elle est considérable et peut atteindre 10 tonnes au centimètre carré. Il est nécessaire que la cohésion du produit comprimé atteigne un niveau mettant en contact immédiat les molécules, c'est-à-dire dépasse le niveau des structurations cristallines fondamentales de la matière. Dans le cas particulier de l’acier, il faut donc que la structure cubique des molécules de fer se trouve écrasée. Une fois ce stade de compression atteint, il est possible de démouler. La pièce n’est pas encore frittée, mais sa géométrie est assurée
6. La pièce est introduite dans le four de frittage, en général un four électrique dont les commandes de régulation de température sont très précises. Elle y est maintenue pendant une durée de l’ordre d’une heure à une température légèrement inférieure à la température de fusion du composant du mélange le plus résistant à la fusion (excepté le cas des céramiques hautement réfractaires).L’atmosphère du four est rigoureusement inerte (argon, etc…) pour éviter toute oxydation ou attaque superficielle. Pendant cette cuisson, le reste du liant introduit précédemment dans le mélange est évacué par évaporation.
7. Le refroidissement de la pièce frittée est ensuite pratiqué à la sortie du four en fonction du genre de traitement désiré pour l’acier allié obtenu. Le frittage a opéré une contraction sur les dimensions de la pièce dans une mesure qui doit être prise en compte pour déterminer les cotes à respecter au moulage.
8. La fabrication de la lame se termine par un surfaçage et un affûtage classiques.
Il est bien évident qu’un tel procédé de fabrication conduit, du fait de la complexité des opérations, de la rigueur des conditions de traitement et aussi du fait du haut niveau technique des installations à utiliser, à un coût de production qui ne peut rendre les pièces produites compétitives que si les cadences de fabrications sont très élevées. Or, les procédés classiques de fabrication des lames de coutellerie courantes ont, elles aussi, atteint un niveau de productivité très élevé qui exclut, dans les conditions actuelles, que l’on puisse aisément produire moins cher. En tous cas, il s’agit de lames d’exception, comme celle en S30V.
Le procédé de frittage est donc techniquement exploitable, mais son impact économique est – encore ?- restreint.
Des recherches ont été faites par des couteliers japonais pour appliquer le procédé à la production de lames « damas » : Un mélange de poudres d’acier, l’une hautement carburée et l’autre moyennement, est fait avant frittage de manière incomplète afin d’obtenir une pâte à compresser non homogène.
On obtient, après frittage, un métal comportant des zones de teneurs variables analogues à celles résultant des cycles de forge/déformation du cycle traditionnel. L’avantage de mettre en œuvre la technique du frittage est que l’on peut obtenir une structure de type damas incluant des nuances d’acier dont le forgeage est délicat.
Une autre ligne de recherche est de mélanger à l’acier des céramiques très dures en grains agressifs qui ont la faculté de renforcer la tenue de l’affûtage et la finesse du tranchant. Les lames ainsi obtenues sont rares dans les catalogues et d’un prix très élevé.
Les traitements de surface
Les oxydations.
L’une des préoccupations des utilisateurs de lames de coutellerie est d’éviter les agressions d’oxydation de la surface de la lame par les atmosphères humides ou délétères dans lesquelles elles sont utilisées. Une première idée a été de provoquer une oxydation contrôlée dont le rôle sera de protéger la lame des oxydations désordonnées. Une telle opération ne conduit malheureusement pas à une solution fiable, car les oxydes de fer sont loin d’être des substances chimiques inaltérables, à l’opposé des oxydes d’aluminium dont l’extrême stabilité laisse croire à l’observateur non averti que ce métal est inoxydable. Par ailleurs, les métaux d’alliage qui pourraient contribuer à la création d’oxydes superficiels résistants sont peu compatibles avec les qualités mécaniques recherchées des nuances d’acier alliés pour lames de coutellerie.
Les nitrurations, cémentations et carbonitrurations.
L’utilisation d’aciers dits inoxydables pour fabriquer des lames de coutellerie aurait pu apporter une solution rigoureuse à ces problèmes d’oxydation. Malheureusement, les aciers réellement inoxydables, dont le type de base est le fameux 18-8, sont incompatibles avec les qualités mécaniques que l’on attend des lames de coutellerie.
L’acier de qualité inoxydable compatible avec l’emploi le plus courant en coutellerie est un 440. Qu’il s’agisse du grade A ou C, ils ne sont pas inattaquables par les agressions extérieures ; dans certaines conditions d’utilisation un peu sévères, ils « se piquent » : des point d’oxydation grise apparaissent. Ils n’en restent pas moins assez satisfaisants dans les utilisations courantes : couteau de poche, couteaux de table, etc…. Ils sont aussi facilement rayables par une utilisation maladroite des moyens d’affûtage.
Il est donc venu à l’idée de former à la surface des lames des transformations chimiques dures et difficilement attaquables. On a donc profité de ce que les nombreuses formes du carbure de fer ou du nitrure de fer sont de telles substances. La perlite qui se forme naturellement au sein de l’acier en est une forme ; il y en a de plus performantes, par exemple les nitrures de titane présents sur certains Gerber et Benchmades.
L’obstacle à surmonter est d’en provoquer la formation sans que le traitement ne contrarie le résultat des élaborations thermiques intrinsèques aux qualités d’acier. Il faut donc opérer en final de fabrication à des températures suffisamment basses dans des enceintes, fours ou bains, où cette opération est souvent une élaboration lente, ce qui pourrait être favorable à un revenu involontaire. Le détail de ces opérations, les produits employés sont souvent des secrets de fabrication ou au moins des brevets.
Les revêtements.
Les revêtements métalliques
L’habillage d’une lame par un dépôt de chrome est le procédé qui vient le premier à l’esprit. Il est opéré par électrolyse dont la technique de dépôt brillant est parfaitement au point ; son aspect est très satisfaisant au sortir du bain, mais des éventuels traitements de durcissement sont susceptibles d’altérer les qualités mécaniques de l’acier de la lame. Il sont donc évités, ce qui entraîne que le revêtement pourra, à l’usage, être abîmé par des agressions de contact avec des objets durs. Ce type de revêtement est donc réservé à des pièces à usage peu sévère et dont l’apparence doit être flatteuse.
Il en est de même pour les revêtements de nickel qui étaient pratiqués à une époque où le chromage n’avait pas encore atteint la perfection technique actuelle. On le rencontre sur les pièces d’antiquité comme les sabres d’apparat.
Tout autre revêtement métallique déposé par électrolyse peut être imaginé. Il faut garder à l’esprit que tout séjour prolongé de la lame dans un bain à température peut faire évoluer les structures de l’acier de la lame.
Les revêtements non métalliques
L’idée de masquer l’éclat de l’acier de la lame est née dans le cadre de la fabrication des armes blanches de combat pour lesquelles seulement la nécessité d’opérer un affûtage contraignait à mettre à nu une surface métallique brillante.
Des progrès ont été faits pour la qualité des couches de matière sombre et mate qui sont déposées par pulvérisation sur les lames. On utilise maintenant des matières organiques chargées, hautement réticulées et dotées de pouvoir adhérent très élevé (peintures à accrochage moléculaire). Les procédés de fortune utilisés par les amateurs désireux de retrouver l’éclat du brillant de leur lame, acquise noircie, sont maintenant inefficaces ; toute tentative risque d’être fatale à la qualité de la lame.
Le cas particulier des lames en céramique.
La mise au point de la fabrication des céramiques a été stimulée depuis les dernières décennies par la maîtrise des fours de fusion. Ces céramiques sont des produits hautement réfractaires capables de supporter des températures très élevées sans perdre leurs qualités mécaniques. Elles ont acquis leur célébrité dans leur utilisation pour les boucliers thermiques des engins de la conquête spatiale.
La matière première la plus couramment utilisée est l’oxyde de zirconium de couleur blanche ; il est parfois transformé en carbure de zirconium de couleur gris foncé. Il est possible de le couler par fusion à très haute température en plaques minces extrêmement dures, inaltérables et de surface très lisse. Ils n’atteint pas la dureté du diamant mais s’en approche plus que tout alliage métallique.. L’idée d’en faire des lames coupantes a été couronnée de succès après qu’une technique d’affûtage au diamant ait été mise au point.
Ces lames de coutellerie ont connu un grand succès entre les mains virtuoses des cuisiniers japonais qui ont ainsi découpé légumes et filets de poisson cru d’un tranchant acéré, durable et avec une lame d’un nettoyage aisé.
Les couteaux qui ont été pourvus de ces lames n’ont toutefois pas pu être utilisés lorsque la lame devait subir des efforts mécaniques, même dans une manipulation manuelle. Les lames de couteaux de boucherie, en particulier des couteaux à désosser, n’ont pas résisté aux efforts en contact des os des carcasses, soit que le tranchant de la lame s’écaille sans possibilité de réparation, soit que la lame se brise net quand elle est soumise à un effort de pliage. De plus, les lames de céramique de faible épaisseur sont cassantes et aisément fragilisables par des fêlures souvent invisibles. La chute sur une surface dure peut les briser comme du verre.
L’utilisation de ces céramiques dans la coutellerie n’est cependant pas définitivement condamnée. On peut attendre des progrès dans la mise en œuvre de cette matière ou des matières analogues. En effet, le zirconium appartient à la famille du titane et du hafnium, métaux qui offrent leurs propres perspectives. Ces éléments sont chimiquement combinables à de nombreux autres comme le brome, le chlore, l’azote, etc….. L’avenir de la recherche sur ces matériaux se trouve dans les débouchés du nucléaire et du spatial.
Il n’est donc pas exclu de les retrouver en coutellerie dans le futur.
Pour le moment, on pourra en trouver une application originale et restreinte dans des lames spécialisées obtenues par plaquage unilatéral de céramique sur un support d’acier. Un tel assemblage produit des lames d’outillage pour des rabots ou des gouges.
Notes de conclusion
Les développements précédents n’ont pas la prétention de constituer une étude complète de la technique des lames de coutellerie.
Bien des détails ont été délibérément omis afin de ne pas alourdir l’exposé et ne pas mettre le lecteur devant un ouvrage a caractère trop scientifique.
Le sujet traité est, en effet, particulièrement touffu.
La science métallurgique est une des sciences les plus vieilles dans l’activité des hommes : elle a vu le jour à l’âge du fer. Elle a donné lieu à des découvertes qui se sont échelonnées dans les siècles, ont été oubliées, puis redécouvertes ; elles ont été formulées de manières très différentes et abordées par des chemins de recherche variés.
Depuis l’explosion industrielle du milieu du XIXème siècle, les réalisations se sont multipliées. Elles ont contraint les chercheurs à répondre à de nombreuses questions relatives aux activités métallurgiques aussi diverses que la recherche de nuances d’alliage, le contrôle des fusions et des coulées ou encore les transformations thermiques ou mécaniques. Le progrès continu et rapide des moyens de production a ouvert très vite et très souvent des perspectives nouvelles à explorer.
Ceci explique que la science métallurgique se subdivise en des domaines restreints de spécialistes qui ont une certaine peine à trouver une ligne de pensée commune.
Ceci explique que le novice en la matière se heurte à une forêt de notions variées difficiles à conjuguer dans un schéma simple à maîtriser. De plus, dans le foisonnement des appellations usuelles et des concepts utilisés, des parentés d’expression entre des notions de nature différentes, des noms de baptême issus du patronyme des chercheurs qui ont mis en valeur des phénomènes dans des domaines fort différents, viennent compliquer la compréhension d’un esprit neuf abordant pour une première fois le sujet.
Il faut ajouter à ce caractère hautement complexe, le fait que les recherches et les découvertes ont été considérées comme sujettes à un caractère confidentiel pour des raisons de compétition industrielle. C’est ainsi que la normalisation des qualités, quand elle existait, n’a pendant très longtemps jamais dépassé les frontières de chaque pays producteur. Une normalisation internationale du langage est loin d’être encore totalement établie. Beaucoup des sujets ont encore un caractère secret, parfois même au regard de la défense de chaque nation.
Le besoin de différencier le produit offert dans la compétition commerciale a conduit aussi les producteurs et les commerçants à adopter des appellations spécifiques et parfois flatteuses, qui masquent les appartenances aux éventuelles catégories.
Entre les écueils de donner à lire un texte volumineux et inutilement exhaustif ou de produire des explications succinctes présupposant des connaissances préalables, il a été choisi de simplifier le sujet en omettant des détails. Le lecteur pourrait donc, au gré de ses rencontres, être confronté à des termes ou notions très spécifiques qui lui resteraient inconnues. Il a été choisi, cependant, d’aller suffisamment dans le détail pour mettre en valeur la diversité des possibilités offertes par la nature de l’acier et des ses alliages dans l’élaboration des lames de coutellerie.
Le but recherché de ce texte est que, le lecteur entrant dans une coutellerie pour y faire un achat, soit suffisamment averti de la signification des termes que le vendeur sera amené à utiliser devant lui et qu’il ait des idées claires des qualités du produit avec lequel il souhaite repartir et des moyens de fabrication mis en œuvre pour les obtenir.
13 Février 2006
Vous pourrez trouver des développements et des diagrammes, chez Joël Becker là
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