Nov. 10 29

INFIDÈLE !

ET VERSATILE !


A la chasse, j'emporte pratiquement toujours un d'Eric Plazen. Oui mais voilà, j'ai acquis dernièrement un de chasse de Jean-Louis Régel en 100C6 que j'avais très envie d'essayer : manche en bois serpent et os.
J'ai découvert ce coutelier il n'y a pas très longtemps, un garçon charmant, doté de ce pouvoir d'émerveillement devenu si rare ! Un passionné, un vrai, à l'écoute de ses "anciens" comme Eric Plazen, Fabian Damanet, Achim, comme un buveur de paroles. Et un passeur à l'acte redoutable : il essaye tout et... à fond !  Et il obtient d'excellents résultats (il faut voir ses réalisations en wootz, de pures pépites de générosité, parce qu'il en faut, en termes d'heures et de sueur !).
Bref, c'est mon dernier et comme presque toujours, mon préféré du moment, et qui restera dans mes favoris, pendant un bon bout de temps. Celui-là, croyez moi, c'est un bon !

Samedi matin : -11°, ça picote ! Il a pas mal neigé dans la semaine et la croûte est bien gelée.
J'aime chasser quand la neige commence à bien s'installer, là, c'est la chasse à l'ancienne, plus de 4x4, que les jambes ! Le poste où je dois aller est à à peine 1/2 heure de piste en voiture et on doit redescendre un petit 1/4 d'heure sur un chemin en légère pente, pour y accéder. Et ça, c'est quand il n'y a pas encore de neige. Mais là, la donne change, pas question de moyens modernes : les guiboles, rien que les guiboles. on part d'en bas et on grimpe. Pas une méchante marche, mais quand-même, 1 heure et demie : un chemin qui démarre assez fort, au fond d'une vallée humide, donc, pris par la glace et qui se calme au bout d'une vingtaine de minutes pour donner un faux-plat montant en dévers, dominant la vallée et le village. Généralement, je le descends, plus que je ne le monte, en automne, c'est splendide : sous les hêtres, donc nappé d'un épais tapis de feuilles dans lesquelles on s'enfonce jusqu'aux genoux (mais la récompense peut être sous la forme de quelques girolles). Le problème, c'est que les feuilles y sont bien, mais recouvertes d'une trentaine de centimètres de neige et c'est pénible, parce qu'on s'enfonce allègrement de 40cm de feuilles + 30 cm de neige relativement poudreuse ! La neige entre sous les guêtres, puis dans les chaussures, que du bonheur ! Mais les anciens n'avaient pas tout le matériel que nous avons maintenant ( pulls et gants en laine polaire, pantalons étanches et tout et tout), ils y allaient, sans se poser de question, la grosse chemise à carreaux ouverte, les bandes molletières sur le pantalon de drap, le béret basque et l'escopette branlante dérivée au mieux du Mauser, au pire du vieux Lebel, ou bien le 12 à broches et à poudre noire pour les plus anciens ... Et ils tombaient du chamois et du sanglier !
Nous sommes de gros gâtés, nous les tartarins modernes : carabines précises, lunettes, jumelles... Par contre, le gibier est géré et il faut parfaitement l'identifier. C'est normal.

Quand le grand blanc recouvre tout, on peut lire la nature comme un livre ouvert et se rendre compte que la vie y est omni présente : des "piades" (traces) d'hermines, de renard, de blaireaux, de lièvres, de chamois, chevreuils, sangliers... Mais pas de loup, pas encore, mais j'en ai déjà photographié pas très loin (des traces, seulement des traces... Hélas !).
Ce matin-là, mon compère est allé se poster un peu plus haut que moi et m'a fait descendre un très joli bouc, magnifiquement coiffé, mais nous n'étions pas au chamois. Il m'a vu mais n'a pas eu l'air plus impressionné que ça ! Il faut dire que c'est la fin du rut et les boucs sont assez nerveux - ils n'en n'ont plus que pour quelques jours et ensuite, ils feront ceinture jusqu'à Novembre 2011 ! Qu'ils en profitent et nous préparent les cabris, éterlous et chamois de demain.
Grand silence ... Et puis un toctoctoc familier, en dessous de moi : j'ai vu une silhouette noire traverser au dessus des cimes du bouquet de hêtres, en contrebas, un pic noir, très bel oiseau. Il attaque un vieux pin creux... Tactactac, là, il est sur une branche plus petite, le son est plus aigu.
Le chiens n'ont rien levé et la consigne de la descente est donnée, nous ne nous faisons pas prier, le petit nuage, pas bien beau, observé à notre arrivée, a considérablement grossi et la neige commence à tomber. Météo-France ne s'est pas trompée : neige en fin Novembre, glagla en Décembre. Nous allons être dans le grand blanc jusqu'en Mars, comme ces deux dernières années, on s'y fait !
Mon collègue me rejoint et nous entamons la descente, lorsqu'un splendide rapace nous survole, pas très haut, à une cinguantaine de mêtres, pas plus. C'est plus gros qu'une buse, mais le ventre bien brun, pas de doute possible, les autres rapaces sont déjà repartis vers le sud, les seuls à rester sont les buses et les aigles royaux (et pas mal de vautours, qui remontent du Bas-Verdon, attirés par quelques charognes). Je l'ai déjà photographié en été, c'est le mâle, plus petit que la femelle. Et ô surprise, sa compagne est là aussi, majestueuse, bien plus grande que lui, un double mètre d'envergure, mon animal favori avec le loup ! Je suis récompensé de mes efforts, mais le petit Leica ne me permet pas de lui tirer le portrait ! Cet été sans doute ...
Un dernier regard vers la vallée, du marron, beaucoup de marron, les hêtres ont perdu leurs feuilles, ponctué par le vert des sapins et les quelques tâches jaunes des mélèzes encore chevelus, mais plus pour longtemps. Nous sommes à 1800 mètres d'altitude. Ils ne seront bientôt plus coiffés que de lychen.



Retour sans trop de chutes.
Les chiens n'ont pas été lâchés et sont frais, nous tenterons une mini-battue l'après midi, sur traces de sangliers. La neige redouble, on ne voit pas grand chose, et je me repasse inconsciemment Croc Blanc ! Je suis là, sous la neige, en plein bois, le panard intégral ! Les chiens ont levé une petite harde, une laie et 3 bêtes rousses d'une trentaine de kilos dont un fera les frais de notre sortie, qui se transformera en une bonne daube aux cèpes, la semaine prochaine. Le de Jean-Louis a été parfait, mais je vous épargnerai les images de la découpe.

J'ai prêté le Fisk, compagnon fidèle depuis plus de 20 ans et le petit Kukri de Citadel, à mes collègues, ça les change de leur Rostfrei et de leur Stainless !

Le dimanche, pas de chasse, trop de neige. Les hommes du village ont sorti les pelles à neige et ont déblayé devant les portes des plus anciens, le tracteur et sa fraise ont été inaugurés : faut pas croire, on s'équipe dans les petits villages de montagne... Le soir, les ruelles du village étaient nettoyées, la vie reprenait... Mais ce matin, les crampons étaient de rigueur : crac crac à chaque pas et quelques belles gamelles !

Il fait froid, très froid, mais les bûches chauffent dans l'insert. 9 kilos de coings à éplucher, qui seront transformés en pâte de coing et en gelée ... Un peu de douceur dans ce monde de brutes !
Après 4 jours dans le Nord et en Belgique, puis 8 à Paris, j'avoue que ce froid-là, je l'apprécie !

L'odeur des coings m'a donné envie d'un petut coup de Château-Chalon !


Un dernier regard vers le blanc et on rentre, il y a du boulot qui m'attend, si je veux que le Hors série soit sorti ... La semaine prochaine ...


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Commentaires

1 -

maxos  Quel style délicieux, Efix ! tu fais ressentir le silence attentif des sous bois, le temps suspendu dans le froid sec. On y est avec toi ! Et le Château-Chalon a une belle couleur dorée ! Le Fisk c'est du stag et le Kukri du micarta ?

 


maxos | Le Lundi 29/11/2010 à 20:44 | [^] | Répondre

2 - Re:

Stag,en effet, sambar,  mon matériau favori. Et le Citadel, c'est de la corne de buffle d'eau, je l'ai retaillé, sa poignée était trop grosse pour mes petites mains.

 


Efix | Le Lundi 29/11/2010 à 20:49 | [^] | Répondre

3 -

Raaah! Ca y est, après en avoir été un fidèle lecteur, j 'ai fini par m' inscrire à ce superbe blog!
Alors salut à tous et merci au créateur de ce site (qui en a sûrement marre des compliments mais bon..)
pour avoir réuni autant de passionnés de couteaux, et ce, dans un esprit convivial et plein d' humour!
Enfin on peut parler de couteaux sans être soupçonné de vouloir éliminer ses contemporains à la machette coiffé d' un masque de hockey!
Superbe revue enneigée du Sieur Efix! Des images superbes et des couteaux dans leur élément.
Ah! Le Chateau-Chalon dans la neige...  Que du bonheur!
Merci beaucoup pour ce superbe reportage, on s' attend à tout moment à voir surgir Jeremiah Johnson!
 

Nono a donné 5 couteaux à Efix

 


Nono | Le Lundi 29/11/2010 à 23:31 | [^] | Répondre

4 -

pierobin  Quel beau reportage. Les photos sont très belles et le texte est fluide, poétique, imagé. Merci de nous faire un peu voyager. 

 


pierobin | Le Lundi 29/11/2010 à 23:34 | [^] | Répondre

5 -

Euh.. Encore moi. Juste une question : le nombre de couteaux donnés inscrits à la fin de mon commentaire correspond à quoi? Une note donnée à la revue?

 


Nono | Le Lundi 29/11/2010 à 23:41 | [^] | Répondre

6 - Re:

Guillaume Oui, en quelque sorte !

 


Guillaume | Le Mardi 30/11/2010 à 07:43 | [^] | Répondre

7 - Re:

Samedi : -18° , relevés à l'ancien alambic vers 7h30 ! Par contre, un splendide ciel bleu.
Pas de longue marche, un gros pied de sanglier a été repéré et tout porte à croire qu'il doit être couché sous un bosquet au sec, assez près de la route. Tant pis, je dérouillerai mes jambes citadines une autre fois.
Les chiens ont été lâchés sur pied, mais ils le cherchent encore, ce gros solitaire. Pour atteindre cette taille (probablement proche du quintal), il a dû se montrer malin et il va sans doute encore grossir !
Un joli renard m'est passé à quelques mètres, j'aime bien ce prédateur opportuniste et jamais je n'aurais l'idée de le tirer, trop content de le photographier aux beaux jours. C'est un animal curieux qui se retourne toujours avant de fuir, une curiosité qui d'ailleurs en fait une cible facile et tellement prévisible. Observez-le si vous en avez l'occasion et vous verrez : au moment d'entrer dans le bois et de disparaître, il se retourne ! Un bien bel animal dans sa robe d'hiver.
Mon Plazen n'est pas sorti de son étui ce samedi, peut-être dimanche ?
Dimanche : presque une journée d'automne avec son petit -5° ... Mais vers midi, une neige lourde nous tombe sur le râble. Je n'aime pas cette neige collante qui va transformer les routes et les rues du village en patinoire pendant la nuit... ou en gadoue si le redoux annoncé, arrive bien.

Un brocard est tombé sous le coup de fusil de notre doyen, 82 ans aux fraises ! Et il l'a tiré avec son vieux douze à chiens ! Chapeau l'ancien ! Je signe tout de suite pour avoir le bonheur de faire de même, j'ai encore un peu de temps...
Le Plazen a bien travaillé entre les mains déjà expertes de notre cadet (16 ans et son premier permis), il faut dire qu'il prépare avec un évident plaisir, chevreuils et sangliers depuis qu'il en a 10.

Je n'ai rien vu, ou plutôt si : quelques mésanges huppées espiègles, qui sont venues me tourner autour, pendant que j'étais au poste. Et puis un roitelet, un vrai bonheur que ce minuscule oiseau en perpétuel mouvement ! Il est resté un bon moment et j'aurais bien échangé l'express contre le 500 mm.
Le plus beau spectacle, je l'ai vu en sortant du bois : "regarde ! un vol d'oies sauvages !" me lança mon compagnon de battue.
Je n'étais pas convaincu et mes jumelles me confirmèrent ce que je pensais : c'était un vol de cigognes, en route vers le sud et qui tournaient en rond, comme si le plafond très bas ce dimanche les avait complètement désorientées. Mon petit Leica a pu les saisir ... Au vol !

J'espère qu'elles auront retrouvé leur route et qu'elles se prélassent maintenant sous le soleil marocain.
C'était probablement mon ultime sortie de chasse de l'année, j'ai rendez-vous avec quelques forgerons de la région d'Osaka et ne serai de retour que pour Noël.
Cette année, j'ai vu beaucoup d'animaux, mais n'ai rien tué : soit j'ai loupé, soit je n'ai pas voulu tirer. Je n'en éprouve aucune amertume, je suis un chasseur contemplatif et mes instincts de prédateur s'amenuisent au fil des ans. L'an prochain, je me suis promis de passer en partie à l'arc, mais c'est une autre histoire... Je rêve depuis longtemps d'un chamois à l'arc, après une longue marche d'approche, là-haut, sur mes montagnes.
La neige est tombée très tôt, cette année et l'hiver sera long.

 


Efix | Le Lundi 06/12/2010 à 15:18 | [^] | Répondre

8 - Re:

maxos  "Cette année, j'ai vu beaucoup d'animaux, mais n'ai rien tué : soit j'ai loupé, soit je n'ai pas voulu tirer. Je n'en éprouve aucune amertume, je suis un chasseur contemplatif et mes instincts de prédateur s'amenuisent au fil des ans."


cela renforce d'autant l'attrait de vos posts, selon moi ! 

 


maxos | Le Lundi 06/12/2010 à 18:44 | [^] | Répondre

9 - Re:

J'ai longtemps hésité à parler de chasse sur un forum : on ne sait pas qui lit, ce n'est pas comme dans la "vraie" vie. Là on sent mieux si on peut ou pas, si l'ambiance s'y prête ou pas.
J'imagine bien qu'il y a ici comme dans d'autres forums, de redoutables anti-chasse, des personnes qui par sensibilité ou conviction n'aiment pas mais ne condamnent pas, des favorables, des moins favorables, etc ...
J'ai choisi d'en parler, parce que c'est pour moi, indissociable de ma relation au couteau. La chasse, la montagne, les champignons, la pêche, la cuisine, voilà, c'est une partie importante de ma vie, je ne vais pas l'occulter, sinon, je ne parle pas de couteaux non plus, parce qu'ils y sont étroitement mélés... Pour l'usage que j'en ai, en tous les cas.
Je ne vais pas me voiler la face : j'ai été prédateur, je le suis moins. Par contre, si je n'ai jamais eu d'état d'âme pour la plume, tuer un grand animal ne m'a jamais laissé indemne et je n'ai jamais considéré cela comme un acte anodin.
Par contre, dans la mesure du possible, ici, j'évite les photos de dépeçage ou celles d'animaux morts.

 


Efix | Le Lundi 06/12/2010 à 18:56 | [^] | Répondre