Morchella's quest
La quête de la morille
Non, il ne s'agit pas d'un titre d'Heroic Fantasy, mais d'un petit sujet que j'ai renoncé à passer dans un magazine de coutellerie, craignant qu'il n'intéressât que peu de lecteurs. Je l'ai donc proposé à mon ami Guillaume qui l'a accepté. Qu'il en soit remercié.
La quête de la morille, en Français, donc.
Nous avons tous notre Madeleine de Proust, la mienne est l'odeur de ces délicieuses croûtes aux morilles que nous concoctait mon oncle, pâtissier à Beaume-les-Dames, jolie petite ville du Doubs (la croûte aux morilles est une grande spécialité culinaire de Franche-Comté). Il y a déjà plus de cinquante ans de cela ...
Quel rapport avec les couteaux, me direz-vous ? Croûte aux morilles-morilles-champignon- couteaux à champignons- couteaux tout court. Hasardeux syllogisme, je vous l'accorde.
Certaines années, des derniers jours d'Avril au début du joli moi de Mai, mon petit village des Alpes de Haute-Provence, s'anime d'une rumeur grandissante : "les morilles commencent à sortir ". Je dis "certaines années", car il y a des années sans. Et 2010 fut une année ... Avec !
Je "chasse" les champignons depuis ma plus tendre enfance, principalement ceux de la fin de l'été et de l'automne, mais depuis une quinzaine d'années seulement, je suis devenu un "quêteur" quasi mystique de la belle printanière "cervelée". Mais à tous, je voue une passion immodérée !
Dans nos montagnes, son arrivée est tardive et les poussées ne durent pas très longtemps, si bien que pour le citadin que je demeure, la réussite de la quête est souvent due à la chance (mais pas tout à fait au hasard), car outre le fait de connaître les bons coins, il convient surtout d'être là au bon moment ! Les habitants du village commencent à fréquenter les places vers la fin Avril et de manière quasi systématique, parfois plusieurs fois par jour (une place vide au matin peut réserver des surprises le soir).
Il y a plusieurs méthodes, mais j'ai acquis la certitude qu'on ne pouvait pas complètement théoriser la recherche de la morille, car la belle garde sa part de mystère et échappe quelque fois à toute logique.
Une place peut donner une année et ne plus rien donner pendant des lustres, avant de redevenir, généreuse.
Le cadre, d'abord : entre 1000 et 2000 m, et beaucoup plus au loin
Et le torrent devient rivière tumultueuse ! Que de truites fario j'ai sorties de celui-ci !
Les lieux à visiter en priorité sont les coupes de l'année précédente et les brûlis (ils peuvent donner abondamment pendant 2 ans, parfois 3 et se tarissent), mais tous les intéressés le savent, si bien qu'on s'y retrouve souvent nombreux ! Je les fréquente généralement au lever du jour, très rapidement et j'y ai parfois de jolies surprises, puis les déserte avant l'arrivée des premiers quêteurs. Mais alors, où ? Partout où les autres ne vont pas ! Selon un itinéraire dicté par les réussites passées, tout en visitant quand même les théâtres de retentissantes bredouilles, quelque fois avec succès (morchella est d’humeur changeante, contrairement aux champignons de l’automne, qui, les bonnes années, sont toujours au rendez-vous sur les bons spots). Je vous l'ai dit, il n'y a pas de logique ... Les bonnes années, surtout en automne, tout le monde ou presque trouve des champignons. Les mauvaises années, seuls les plus déterminés parviennent à faire une poêlée de chanterelles ou de cèpes (et il faut ajouter que nombre de chercheurs sont « créances » sur quelques espèces, négligeant beaucoup de trésors culinaires). Avec les morilles, il faut parfois de longues heures de crapahut dans la montagne, pour rapporter de quoi agrémenter une belle pièce de boeuf. Et même les chercheurs les plus expérimentés doivent parfois se résoudre à "baiser Fanny" ! Et j'ai personnellement assidûment fréquenté le popotin de cette Fanny callipyge ... Avant de lui faire de plus en plus d'infidélités, tant il est vrai et sans prétention aucune, depuis quelques années, je suis de plus en plus en chance, la ténacité payant.
Deux jolies blondes !
Il m'aura suffi de trois belles journées en montagne, pour remettre à zéro le compteur de mes infortunes et aux 10 ou 20 morilles de bien des années passées (30 au plus), avec l'aide de mon épouse – chercheuse complice et appliquée, nous avons enfin accédé au Nirvana morchelliste (pardonnez ce néologisme) ! Près de 150 morilles en 2 journées, dont plusieurs dépassant les 50 grammes. Inutile de préciser que nous sommes redescendus à contre coeur au niveau de la mer, mais il faut bien travailler ... Un peu ...
Nous nous sommes gardés des fausses pistes et autres chausse-trappes, dont les "conseilleurs" sont coutumiers, et avons fait confiance à notre instinct. Et tandis que certains jouaient à touche-touche sur les coupes, nous avons sillonné méthodiquement quelques dizaines d'hectares de montagne, en toute quiétude : 2 blondes par-ci, 1 conique par là, 1 morillon là-bas et au final, après plus de 12 heures de marche au total (sur 2 jours), plus de 2 kilos dans nos paniers : des blondes et des noires, plus une centaine d'oreilles de singe (pézizes veinées, qui fréquentent le même biotope que les morilles, leurs cousines – je trouve qu’elles ressemblent plus à des trous de balle de cynocéphale, mais c’est moins poétique). Pour agrémenter cela, une vingtaine de verpes, dont il convient de rejeter les sujets trop avancés (d'où l'expression : des verpes, mais des pas mûres ...).
La brune n'est pas mal non plus ...
Revenons aux morilles : la plus difficile à trouver est la première. Ensuite on se dit qu'il doit nécessairement y en avoir d'autres ... Et ... non, pas toujours. Le problème, lorsqu'on s'est fixé de parcourir beaucoup de kilomètres, c'est d'en trouver une au sortir de la voiture ! C'est ce qui nous est arrivé hier ! Et je ne vous dis pas le temps perdu à chercher en vain ses frangines ! Une et une seule, prise dans la gelée du petit matin, au bord du torrent, et la suivante, une bonne demi-heure de marche plus tard ! Mais petit à petit, l'oiseau fait son nid, il faut s'armer de patience et surtout profiter de la beauté des lieux : de ce torrent de montagne devenu rivière en furie, grossi par les eaux de neige et les pluies incessantes ; de ce vautour tournant au-dessus de nous ; de ce brocard dérangé, aboyant à quelques dizaines de mètres, de ce minuscule mais si bruyant troglodyte mignon ; du vol de cette merveille de la nature qu’est le cincle plongeur ; de ce lézard vert se réchauffant sur une pierre ; des premiers orchis de montagne (les Alpes regorgent d’orchidées, toutes plus splendides les unes que les autres) faisant timidement leur apparition ; des prèles qui faisaient battre mon coeur de jeune chercheur, certain d'avoir trouvé un champ de morilles, la première fois qu’il en a vus !
Oui, c'est bien un vautour. Il y en a aussi... (photo prise l'an dernier au même endroit. Je n'ai pu shooter celui d'hier, je n'avais que le petit Leica)
Une verpe, de la même famille que les morilles
Et une Oreille de singe - Pézize veinée, encore une cousine. Pas mauvaise d'ailleurs.
Des prèles. La première fois que gamin, j'en ai trouvé, je croyais que j'avais découvert un champ de morilles !
Oui, la montagne est belle et généreuse et ce qu'elle offre à nos regards fait oublier la lourdeur des jambes. Et je ne vous parle pas des exhalaisons de thym, de serpolet, de pebre d'aï (poivre des ânes en Provençal - sarriette).
Mais je réalise que je n'ai pas encore parlé de couteaux ... Lesquels j'emporte ? Sans doute serez-vous déçus, mais je prends généralement un ou plusieurs industriels dont je n'ai aucune honte à mettre la lame en terre. Le Soldier 2008 de Victorinox dans un étui en kydex de mon ami Emmanuel Amoreau (Nikaïa Sheaths) me sied parfaitement et sa lame de scie me permet de récolter quelques bouts de bois en automne (du buis, du nerprun, du cerisier de Sainte Lucie, du genévrier, de l'aubépine, du fusain, du prunelier, de l'églantier ...), qui sèchent tranquillement en attendant que j'aie le temps de me remettre à la coutellerie ... Manu lui a adjoint au bout d’un scoubidou bâti autour d’un firestick (on ne sait jamais, la neige arrive vite) un sifflet, très utile lorsqu’on est 2 et que l’on s’éloigne l’un de l’autre (et en cas de pépin, cela peut sauver la vie. Si, si, en montagne, tout est possible et une entorse dans un vallon où le portable ne passe pas, peut être fatale si l’on n’est pas retrouvé avant une froide nuit d’hiver – il y a quelques années une famille a vécu tout près de chez nous, un terrible drame : la maman et sa fille n’ont pas survécu à une nuit glaciale, perdus à quelques centaines de mètres des premières habitations. Le papa et le petit garçon s’en sont sortis, retrouvés au petit matin par les équipes de recherche).
Oui, ça vient, voilà un couteau, bande de monomaniaques !
Je ne peux pas m'empêcher de montrer ma bobine (il paraît !)
J'aime également porter un couteau à lame fixe et assez forte d'une vingtaine de centimètres, me permettant de décoller sans risque de casse des amadouviers collés aux souches (séchés, ils font d'excellent allumeurs de feu, avec le firestick qui va bien). J’en ai toujours bien au sec dans une boite au fond de mon sac de chasse, et je suis tout sauf parano. Le Pocket Bushman de Cold Steel est un excellent compromis et on n'a pas peur de l'abîmer, même en grattant fortement un firestick.
Et les couteaux à champignons, me direz-vous ? Oui, aussi ... Et je découvre le parti que l'on peut tirer de leur petit pinceau, surtout avec les morilles : "plus on nettoie sur place, moins il y a de travail une fois retourné au chalet" - ce n'est pas de moi, mais de ma complice, bon sens et pragmatisme féminins ... Elle a adopté le petit Mora et pour ma part, j'aime bien l' Opinel à champignons.
Un petit Suédois qui a l'air d'aimer les grandes brunes.
Pour le casse-croûte, je me lâche un peu et emporte selon l'humeur, un joli fermant réalisé par l'un de mes amis couteliers (PHM, Greg Delaunay, Mick Moing, Fred Maschio, Vosgien de Joël Grandjean, friction de David Lespect ou de Richard Ciachera ... Ou bien encore un petit Plazen branche. Je ne parviens pas à utiliser tous mes couteaux, c'est dramatique. Et pourtant, j'essaie, car le principe d'un couteau fait pour servir, et qui ne sert pas, me hérisse le poil ! Et le pire, c'est que je continue d'en acheter. J'ai bien pensé à en emporter une dizaine à chaque sortie, mais je n'ai pas envie de faire mon Tuan ... Ou bien alors, il me faudrait un sherpa (pourquoi pas Tuan, justement ... Mais il me boufferait toutes mes morilles !)
Les chamois (ici un cabri) ont payé un lourd tribut à l'hiver rigoureux. Nous connaissons une grave épizootie de kérato-conjonctivite virale et avons stoppé le plan de chasse.
Des histoires liées à mes "chasses" aux champignons, j'en ai des tonnes, notamment cette belle poêlée d'agarics champêtres ramassés à Arligton cemetary, tout près de la tombe de JFK et servie à une tablée d'amis de mon frère à Georges Town, tous fonctionnaires de la banque mondiale (je ne leur ai jamais dit d'où ils venaient ...) ; ou bien encore cet effet antabuse général de toute ma section, lors d'un stage survie pendant mes EOR, en forêt angevine - j'avais rapporté un plein sac de coprins chevelus, qui dûment préparés avec les pieds, pour faire un peu plus de volume, n'ont pas fait très bon ménage avec le vin US que l'armée, généreuse en ces temps-là, nous livraient en jerrycan ... Guillaume, tu confirmeras peut-être, mais c'était il y a fort longtemps. Ou bien encore cette file d'attente devant les toilettes de ma colonie de vacances, après une bonne platée de clavaires (servie aux moniteurs et monitrices sans penser à mal, mais les clavaires sont trompeuses) ...
Ou encore le visage hilare de mon ami Xavier (de chez Courty) en voyant mon panier rempli de champignons très variés, lui qui ne ramasse que le cèpe de Bordeaux et le tête de nègre soigneusement nettoyés ... Ceux qui le connaissent, savent qu’il est quelque peu élitiste … Xavier, si tu nous lis …
Et lorsque nous avons acheté notre maison, il y a une trentaine d'années, notre bergère Belge Tervueren, Oona (oui, c’est un nom irlandais, mais au début, je voulais un irish wolfhound, mais on m’a dit que ça ne vivait pas vieux et je suis tombé amoureux de cette petite boule de poils, qui nous est restée fidèle pendant 14 années … De bonheur – snif), nous a fait une belle surprise en déterrant au pied des noisetiers, une belle truffe d'hiver (pas la melanosporum, mais excellente tout de même). Je me mettais à plat ventre pour sentir la terre et nous en avons déterré jusqu'à 80 par an... Oona semblait se fendre la gueule en me voyant, quant à ma femme, elle était pliée de rire, jusqu’à ce que je me relève triomphalement, à quoi ça tient le respect … Et un beau jour (ou mauvais jour), plus rien ! Cela a duré 3 ans et nous n'en avons plus jamais retrouvé - sans doute le béton de la cuisine d'hiver construite en 85 a-t-elle tari cette manne ?
Mais que de bons souvenirs.
Vosgien de Joël Grandjean, Mora ... Et leurs copines.
De cerf vêtus : un Scagel like de Jim Batson et un liner Elfic de Greg Delaunay
Petits mammouths
de PHM
Ceux que je préfère ? Paradoxalement pas les morilles, elles c'est une histoire de Madeleine de Proust, je vous l'ai dit, et elles furent longtemps et demeurent un mythe pour moi, une espèce de Graal mycologique.
Non, ceux que je préfère vraiment, ce sont les sanguins (toute la famille des lactaires à lait rouge), insipides dans bien des régions, mais sublimes dans nos montagnes - juste posés sur le BBQ, avec une bonne huile d'olive, ail et persil (sel et poivre), ou au four, sur des canapés qui recueillent leur jus de cuisson. Les cèpes aussi, mais il n'y en a pas dans mes montagnes, et c'est la générosité de quelques amis ou la complicité de Xavier, qui me permettent d'en déguster, presque chaque année.
Et le Shillin ... Ils arrivent et il y en aura pour tout le monde ;o)
Et puis le tout venant - petits gris (trycholome terreux), girolles, chanterelles, agarics, délicates coulemelles (lépiote élevé) ou les fermes hydnes pieds de mouton (mais délicieux après blanchiment). Et même les pissacan (nonnette voilée, un sous-cèpe - pisse chien en Provençal à cause de son chapeau gluant) que je prépare au vinaigre (conservés dans l'huile, pas d'olive qui rancit, mais d'arachide, c'est le seule occasion d’en utiliser dans le Midi) et qui font un excellent condiment agrémentant charcuterie et viandes froides (mais le meilleur, c'est le sanguin au vinaigre, et les petits bouchons de champagne s’il y en a vraiment beaucoup – je sais, c’est un sacrilège, mais seulement pour celui qui n’en a pas goûté !) et le rare sparassis crêpu, quand on en trouve un, c'est le repas assuré pour une dizaine de personnes !
J'ai fait l'acquisition d'un déshydrateur, c'est parfait pour faire sécher les champignons et plein d'autres choses : fruits, légumes (notamment les tomates) et même viande genre jerkybeef, idéal en randonnée : léger et plein de protéines.
Un grand gaillard (Cold steel) pour de grandes bringues.
Et si vous n'aimez pas les champignons, je suis désolé de vous avoir importunés avec ce texte fastidieux !
Et soyez heureux, vous ne le lirez pas dans La Passion des Couteaux !!!
La récolte du premier jour. Il y en avait autant le second.
Bon, avec tout ça, mes morilles sont trop cuites ! Cela dit, pas assez cuit, c'est toxique, qu'on se le dise !
Et c'est vraiment long ton truc, Guillaume, je ne ferai pas ça tous les jours !
Mots-clés : Couteaux
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