Couteaux Multilames Suisses
Pragmatisme et qualité helvètiques
Bien qu'il eût été impossible que sujet ne fût déjà défloré dans ces pages, comment se passer de faire un jour une revue exclusivement consacrée à ces universellement connus, universellement utilisables et tellement utilisés qu’on n’y pense même plus, mon premier couteau (snif) aujourd’hui perdu (re-snif), des couteaux qu’on manie jusque dans l’espace interstellaire, qu’on fait passer jusque sous ses "propres" ongles, en dépannage ou comme seul outillage, tellement variés dans leurs tailles et dans leurs équipements que chacun en trouve un adapté à sa poche, qu’il ou elle soit skateur, skieur, VTTiste, pompier, pêcheur, chasseur, automobiliste, voyageur à pied, marin de mer ou d’eau douce, à voile ou à moteur, mécanicien, informaticien, électricien, manucure, pique-niqueur, chirurgien en Afrique, aventurier de série télé ou citadin tranquille, espiègle écolier ou prudent vieillard, fou de couteaux ou pragmatique du minimum vital ?
Voici un exemple de ce dernier cas : un couple d’amis faisait le tour de l’Europe à pied. Il avait un Victorinox de la série un peu plus grande et un peu plus ergonomique, avec un cran d’arrêt sur la grande lame. Son problème était l’affûtage, jusqu’à ce que quelqu’un, en Suède, lui préconise une pierre diamant, ce qui lui « changea la vie ». Un modèle assez basique, 6 ou 7 outils. Ils firent tout leur voyage, deux ou trois ans, avec ce couteau. Et voilà : encore un tactique de base, éprouvé sur le terrain.
Le premier intérêt du couteau suisse réside dans la multiplicité de ses utilisations : sur un « suisse », une lame a une fonction, parfois deux, trois, voire quatre, établie(s) par le fabricant ; pourtant, j’éprouve un plaisir intense à utiliser mon suisse « à l’improvisade », comme disait Cyrano, pour tout autre chose que ce pour quoi il a été conçu. J’ai ainsi utilisé le décapsuleur d’innombrables fois comme levier (presqu'aussi fort qu’un tournevis pour les pots de peinture) et une fois pour resserrer (sous la pluie) l’écrou de 8 de l’essuie-glace inerte de ma R16, lequel reprit ensuite ses va-et-vient le plus naturellement du monde. J’ai utilisé le dégorgeoir-écailleur à poisson comme levier, comme scie sans bavures pour matière tendre et comme tige effilée et inoffensive pour trier de très petits objets. Le cure-dent comme pic à apéritifs, le tire-bouchon pour extirper des trucs dans des coins et, mon chef-d’œuvre, la loupe à la place d’un monocle ;-).
Autre indéniable qualité du suisse, son prix. Cet aspect des choses tellement essentiel dans la marche du monde doit-il toujours être occulté ? Le couteau suisse n’est pas cher relativement à ce qu’il offre. Un couteau de soldat suisse (4 outils, 8 fonctions) vaut pécuniairement deux Opinel, un couteau d’officier (8 outils, 12 fonctions) à peine deux Douk-Douk. Sans compter que la réalité dépasse quelquefois l’imagination : mon épouse a l’autre jour acheté le Wenger présenté ici pour… trois baguettes de pain !
En outre, le couteau suisse est fabriqué avec je ne sais quel acier inoxydable, tellement inoxydable que son entretien est minimal et que, s'il ne se démonte pas puisque ses axes sont des rivets, il se lave à grande eau sans aucun mal. On peut même le décrasser sous l'eau avec une brosse à dents et du produit vaiselle (voir posts ci-dessous pour les détails).
Procédons à l’étude détaillée. Pour ce faire, je présenterai ici trois modèles des deux marques les plus célèbres de couteaux suisses multilames :
- celui avec les plaquettes noires est un Victorinox, modèle évolué du « couteau d’officier suisse » à six lames, celui-ci en a 15 pour 23 fonctions, le plus complet du marché en 1978 (L.91 x l.26 x e.25 mm et 145 g environ) :
- celui avec les plaquettes en aluminium est le Victorinox « couteau du soldat suisse », 4 lames pour 8 fonctions (L;93 x l.22 x e.10 mm et 65 g environ) :
- celui avec les plaquettes translucides rouges est un Wenger, également du type « couteau d’officier suisse », 6 lames pour 9 fonctions (L.85 x l.27 x e.13 mm et 45 g environ) :
Eléments communs :
1)
D’abord faite pour manger.
Mais aussi pour ouvrir le courrier et pour tous les usages habituels d’une lame de cette taille (
La « grande » lame d’un couteau suisse reste malgré tout une petite lame et ne remplace pas une lame plus conséquente. C’est une grande lame de dépannage, qui permet de couper du pain, d’étaler dessus diverses matières alimentaires, couper de la viande, tailler des bouts de bois, etc, mais elle n’est pas aussi à l’aise qu’une lame de 7,5 à
2) Le DECAPSULEUR, le GRAND TOURNEVIS et le DENUDE-FIL
Une belle combinaison : décapsuleur, grand tournevis, dénude fil électrique.
Les trois fonctions sont efficaces, avec une mention pour le décapsuleur, car les deux autres ont la limite du cran forcé pour le grand tournevis et celle de ne compter qu’un seul diamètre (fil électrique courant, si j’ose dire) pour le dénude-fil.
J’ai remboîté la clenche en plastique de ma 106 avec ce grand tournevis, et je dois dire qu'il eût été fâcheux de ne pouvoir ouvrir la portière de l’extérieur.
3) L’OUVRE-BOITE et le PETIT TOURNEVIS
Le Victorinox (à gauche) est couplé à un petit tournevis plat, le Wenger (à droite) est seul. Les deux profils sont efficaces.
On utilisera, sans grande surprise, le petit tournevis pour les petites vis, mais tout de même pas minuscules. Pour les vis de lunettes, il existe chez Victorinox depuis déjà des années un mini tournevis qui se loge ingénieusement dans le tire-bouchon.
4) Le POINCON-ALESOIR
Remarquablement efficace. Surtout celui du « couteau de soldat suisse », car il est à la place de la petite lame, bien plus maniable qu’à côté du tire-bouchon.
Le poinçon du Wenger n’est qu’un instrument pointu, et n'a pas la fonction de l'alésoir qui permet de découper un peu de matière pour régulariser le diamètre du trou qu’on a créé en perçant.
5) Le TIRE-BOUCHON
Inutile à ceux qui ne boivent pas de vin, si ce n’est pour leur rappeler que les cochons ont la queue hélicoïdale :
On aura remarqué que le modèle du soldat suisse en est démuni : en Suisse, pas de vin pour les troupes !
6) Le CURE-DENT
Aaah, ça fait du bien quand le petit bout de nourriture coincé entre les dents est extirpé… enfin !
Indispensable.
Sur la photo, on voit en haut celui du Victorinox noir, en bas, celui du Wenger rouge.
et à l'intérieur des plaquettes sur le rouge :
7)
Soyons clair : pour s’épiler, il y a mieux. Je ne connais pour le moment personne qui ait tenté cet exercice avec un tel ustensile. En revanche, en cas d’écharde ou d’épines, c’est providentiel.
On remarquera les conceptions et les tailles différentes ; ainsi, les petites tout en métal extraction à l'intérieur est la solution de Wenger, les plus grandes avec un sertissage en plastique et extraction à l'extérieur sont de Victorinox.
8) Les ANNEAUX DE SUSPENSION
Seul le modèle du soldat suisse n’en a pas, non plus que de trou pour y passer la moindre cordelette…
Incompréhensible.
Elément particulier au Wenger rouge :
9) La LIME A ONGLE - CURE ONGLE
Ridiculement petite (22 x 6 mm).
Eléments particuliers au gros Victorinox :
10)
La petite lame existe en tant que telle sur le Victorinox à plaquettes noires, tandis qu’elle est remplacée sur celui à plaquettes en aluminium par un poinçon, ou par une petite lime à ongle sur le Wenger rouge.
Cette petite lame de 4 cm remplace très correctement un cutter :
Pour tailler avec une bonne précision dans papier, bois et autres matériaux relativement tendres, ouvrir des cartons d’emballage, etc. Maniable car près du pouce et très visible pour un droitier, peut-être moins pour un gaucher, je ne sais pas.
11) Le TOURNEVIS CRUCIFORME
Je trouve ce tournevis remarquable. Je n’ai jamais trouvé, même parmi les « vrais » tournevis, un cruciforme qui s’adapte aussi bien à toutes les tailles de vis, qu’elles soient assez grosses
ou assez petites
la tête de cet outil vient à merveille épouser celle de la vis, sans jeu. Seule réserve : une fois que je forçais sur une vis récalcitrante de patin à glace, le cran forcé a lâché et je me suis ouvert le doigt, non sur la lame de patinage, mais sur l’acier du couteau. Toujours la même rengaine sur le manque de cran : ça craint.
12)
Très efficace, certes limitée par sa longueur réduite, mais ça coupe correctement jusqu’à, disons,
En précisant au préalable qu’il ne s’agit guère d'encourager un tel comportement, je me souviens d’un camarade de classe qui s’était amusé comme un petit fou à couper la planche de sa table – de classe également – à l’aide d’une telle scie. Pour la petite histoire, s’étant fait prendre, il ne s’en tira point sans punition.
Donc, une scie très efficace.
Un chirurgien qui opéra en temps de guerre en Angola nous livre un témoignage triste et beau (anecdotes officielles de Victorinox) : « Durant six mois(…), j’ai procédé au moins à six amputations avec cette scie de couteau », le temps pour lui de recevoir une vraie scie de chirurgie. Le couteau a seulement perdu ses plaquettes en plastique pour avoir été désinfecté à l’eau bouillante.
13)
L’outil dont je me suis le moins servi, mais quand même un peu. Ca marche, mais je ne puis en dire plus, sauf que je ne suis pas sûr que cet outil soit en inox, ou du même inox que les autres, car elle est un peu piquée de rouille, ce qu'on voit un peu sur la photo.
14) Le DEGORGEOIR-ECAILLEUR
C’est un outil pour la pêche, pour retirer, je crois, l’hameçon de la bouche du poisson et, plus tard, les écailles désagréables au palais. Il est muni d’une petite règle graduée en pouces d’un côté, en centimètres de l’autre, afin de vérifier, en mesurant la taille de la prise, si l’on doit la remettre dans son élément naturel ou dans sa nasse. Ces usages ne me concernent pas et n’ai pu en vérifier l’efficience.
De plus, il s’agit d’une vraie petite règle, bien rectiligne et bien graduée, utilisable comme telle au bureau.
15) Les CISEAUX
De la taille de ciseaux à ongle
ce pour quoi je les utilise systématiquement depuis 25 ans, ce ne sont donc point des cisailles ni même des ciseaux de mercière. Mais ça peut dépanner, et plus souvent qu’on le pense : un fil qui dépasse, un bout de scotch, un cordon, une petite découpe de papier, un vêtement à ajuster en voyage, on est alors content d’avoir des ciseaux plutôt qu’une simple lame de couteau. Mais sur les Victorinox, les ciseaux (et la petite pince qui équipe certains modèles) a un ressort assez fragile qui casse à l'usage, et s'il faut que je change celui qu'on voit ici, je les ai tels quels employés pendant des années.
16)
A mon âge, j’en perçois mieux l’intérêt que quand j’étais plus jeune. Le grossissement est assez fort, on peut déchiffrer des inscriptions illisibles à l’œil nu (à mon œil nu, dont l'acuité est normale) ou voir de sacrés détails (photo sans trucage) :
Néanmoins, pour la lecture, la surface de la lunette est trop petite.
Enfin, je n’ai jamais réussi à faire partir un feu avec cette loupe là : ça fume, et puis c’est tout. Ne faisait-il pas assez chaud ? Mais peut-être certains parmi vous me contrediront.
17) Le PETIT TOURNEVIS
Tiens, on en a déjà parlé, non ?
Eh non ! Voici l'AUTRE petit tournevis ! Entre le tire-bouchon et le poinçon, il a la même largeur et la même épaisseur que celui de l'ouvre-boîte
tellement super pénible à utiliser qu'il ne m'a jamais servi. Il ne faut jamais dire jamais, ouais, mais bon, il y a des limites à l'inutilité : pourquoi ce deuxième petit tournevis ? Parce qu'il n'y a pas de réponse !
Je ne lui trouve qu'un seul usage : puisqu'il est inutile, on peut le sacrifier !
CONCLUSION
Mettons-nous d’accord : le couteau suisse est une remarquable boîte à outils d’appoint ou de dépannage, mais n’offrant jamais vraiment les performances et la satisfaction d’outils véritables, et quoique leur qualité les dote d’une efficacité suffisante pour un office occasionnel, j’émets les réserves suivantes par rapport à un outil « normal » :
- pour un résultat identique, l’outil du couteau suisse réclame plus de temps,
- la précision et la maniabilité sont moindres,
- une solidité moindre et donc une confiance et une force applicable moindre, notamment à cause du fait qu’il n’y a pas de cran complet.
Pour bien illustrer cette idée, je reprends l’exemple de ce chirurgien en Angola : il a fait « au moins » six amputations, mais pas cinquante ou cent comme en est capable une vraie scie. La preuve en est que quand une vraie scie lui revint dans les mains, il n’utilisa plus celle de son couteau.
Un multitool moderne a un cran complet sur tous les outils et de ce point de vue me semble un outillage d'appoint supérieur au couteau suisse ; mais primo j'en parle sans les avoir utilisés (les multitools), secundo le couteau suisse est vraiment regardé comme un objet très sympathique car tout le monde reconnaît son utilité et qui aurait l'idée incongrue de le considérer une arme ? A 11 ans, j'en reçus un de mes parents.
J’avais lu un jour que le couteau suisse était sans doute le meilleur couteau de survie. En milieu urbain d’une civilisation industrialisée c’est possible, mais en milieu naturel, pour un Massaï, par exemple, quelle est la place du décapsuleur, du tournevis cruciforme, du tire-bouchon et de l’ouvre-boîte ? Le couteau suisse est donc un compagnon universel dans un monde de plus en plus urbanisé, un compagnon adapté au milieu urbain. Il réprésente le pôle opposé au couteau fixe, lequel est adapté au milieu naturel.
Les couteaux suisses sont aujourd'hui tellement variés que n'importe qui peut y trouver son compte, et s'il ou elle ne sait lequel choisir, qu'il lui suffise d'étudier les catalogues de ces deux marques, par exemple, pour voir que les modèles sont extrêmement variés : tailles, outillages, formes et matières des manches, et même, depuis peu, tailles et formes du principal outil qui est la grande lame ! donc, quelle que soit son activité, chacun(e) trouvera un couteau suisse qui lui convient.
En définitive, il en faut un, forcément, à portée de main !
Mots-clés : Couteaux Victorinox, Couteaux Wenger
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