Douk-Douk vs Opinel
Français, pas cher, pour tous.
Dans la catégorie des économiques, lesquels ne s’économisent cependant guère au labeur, je vous propose un comparatif assez subjectif entre ces couteaux qui hantent le fond de notre jeunesse quand on jouait à la "pichenette", entre ces couteaux connus de tout le monde qu'on trouve dans les tiroirs de la cuisine comme dans les poches du pantalon, dans les boîtes à gants des voitures comme dans la main de, finalement, plein de gens ; voici ces messieurs DOUK-DOUK et OPINEL :
A l’usage, ils se distinguent par bien d’autres choses que leur prix modeste et presque identique. Première constatation d’importance, la puissance des lames :
La pointe des Opinel de toutes les tailles s’abîme assez facilement (selon mon expérience croisée à celle de plusieurs amis et leurs familles qui n’utilisent et ne connaissent de couteau que l’Opinel), celle du Douk est beaucoup plus résistante.
Le cran forcé du Douk est assez fort, plus fort que les Laguiole que j’ai eu en main jusqu’à présent, mais ce n’est pas un blocage complet et il faut donc se méfier, quoique pour un usage domestique, c'est généralement suffisant. Le gros avantage du cran forcé est qu'on le porte en toute légalité. (Autre avantage par rapport au Laguiole : on peut le fermer en le claquant sans abîmer le fil.)
En revanche, l’Opinel bénéficie d’un cran complet par le fameux système de la virole, mais la lame est beaucoup moins solide que celle du Douk et je ne trouve finalement pas cela très sécurisant non plus, par exemple pour ces coupes en force ou certains bricolages où un minimum de solidité de la lame est absolument nécessaire. D'ailleurs, qui n'a jamais vu de lame d'Opinel brisée ? Dautre part, ce système à virole s’use je ne sais comment, si bien qu'on se retrouve à terme avec une virole qui tourne plus ou moins librement sous la lame, et l’on ne sait plus très bien si la lame est bloquée on non.
Néanmoins, le système actuel permet de bloquer la lame en position ouverte (photos de gauche et de droite) ou fermée (photo du milieu) :
En cuisine, la lame carbone de l’Opinel est d’emblée à proscrire, car elle donne un goût détestable aux aliments qu’elle touche, et cela est également valable pour notre Douk, dans une moindre mesure. Déduction de l’inspecteur Colombo : en cuisine, à la condition d’une lame inox, c’est un Opinel qu’il faut choisir (à condition encore d’y faire peut-être un peu plus attention qu’une certaine connaissance de LaurentL…)
En cuisine toujours, l'eau est un vrai problème pour nos deux amis : tous les Opinel ayant un manche en bois (encore qu’il existe des exceptions, mais beaucoup plus chères), l’eau les fait gonfler, ce qui nuit à leur fonctionnement : la lame pivote mal sur son axe, se coince plus ou moins, le bois sèche mal, pourrit vaguement, s’effrite. Quand au Douk, il n’est point en inox, donc la rouille guette. Mais comme il sèche facilement…
L’Opinel que nous vous présentons ici, à lame effilée inox, semble fait pour lever les filets de poisson, mais sa lame manque d’élasticité (c'est mon épouse, cuisinière, qui l'a essayé, moi qui était tout fier), et un couteau à poisson pour lequel un lavage à grande eau est problématique devient lui-même problématique. L'Opinel à lame effilée n’est donc pas un super couteau à poisson, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Ainsi, ces deux couteaux n’ont pas vraiment leur place en cuisine, mais s’il en fallait choisir un, l’avantage irait à l’Opinel, pour la minceur et l’inoxydabilité de sa lame, ainsi que pour sa prise en main.
En dehors de ces considérations théoriques, je tiens à vous faire part de témoignages pratiques et même tactiques, au sens où nous l'entendons :
1) Quand, à Cherbourg, au début des années 80, je rejoignais tôt le matin le lieu de mon job d’été, je passais par la criée - c’était un raccourci - et je marchais entre les caisses et les marins pêcheurs qui débarquaient le poisson des chalutiers. Ils avaient un gros Opinel (n° 10 ou 11, à vue de nez) à lame carbone pendant à la ceinture, ouvert en permanence dans un étui bricolé avec du plastique de fortune et des agrafes de bureau. Un couteau à tout faire pour tous besoins, à portée de main :
- gros parce qu’un marin pêcheur a des mains larges comme des battoirs, parce qu’il doit pouvoir le saisir avec des doigts engourdis par le froid (Cherbourg, ce n’est pas Tahiti, et en mer quand ça caille et qu'il vente, ça caille fort), et parce que l’ergonomie du manche est excellente ;
- lame carbone, qui rouille on s’en fout on n’est pas au resto, ça coupe en toute circonstance, rouillée ou non, d'autant qu'un marin pêcheur ne prépare pas le poisson, il le pêche ;
- manche en bois c'est parfait, ça gonfle à l’eau et ça bloque la lame, même sans virole ;
- ça coûte deux balles et on en trouve partout, au cas où la houle l’emporte et le couteau n’est pas un souci mais un auxiliaire d’autant plus aisé à manipuler qu’on ne craint pas de le perdre.
2) J’ai connu un homme excellent, exquis, aujourd’hui disparu, qui vivait solitaire presque comme un sauvage dans une maison de pierre, au cœur de la forêt des Landes. Si ce n’était pas le Viêt-Nam, il y avait tous les jours du « tactical » dans sa vie. Son couteau était un Douk du modèle en photo. Quand il offrait un couteau, c’était un Douk ; quand il allait dans la forêt, c’était son Douk, pas le dernier Rambo. Un couteau solide, légal, tranchant, léger, moins encombrant dans la poche que des clefs ou des pièces de monnaie.
Problème commun : ils ne se démontent ni l’un ni l’autre sans outillage ! Les lames sont rivetées aux manches. Alors, comment faire en cas de jeu de la lame sur son axe ? Pour le Douk, c’est facile : un petit coup de marteau (très mesuré) sur le rivet-axe, et l’affaire se résout. Quant à l’Opinel, je n’ai jamais vraiment remarqué ce problème, à cause du bois qui gonfle ou de la virole qui tourne à vide avant que cela n'arrive ; mais si cela devait arriver, je ne vois pas comment on pourrait resserrer le rivet sans enlever la virole, et même si c'est réalisable, ce n'est pas facile.
Conclusion :
- élégance ………………………………….Opinel
- originalité ………………………………... Douk-Douk
- robustesse lame ………………………….. Douk-Douk
- blocage lame …………………………….. Opinel
- prise en main / ergonomie……………….... Opinel
- sécurité générale …………………………. EGALITE
- encombrement …………………………… Douk-Douk
- tranchant …………………………………. EGALITE
- cuisine………………...………………….. Opinel
- bricolage …………………………………. Douk-Douk
- fiabilité……………………………………. Douk-Douk
- espérance de vie……………………………Douk-Douk
On aura donc compris que j’ai une préférence légère pour le Douk, dont l’encombrement dérisoire et la véritable robustesse ne sont pas comparable à l’Opinel, nettement moins solide, mais ayant les avantages précieux d’une des meilleures (ou la meilleure) prises en main que je connaisse, adaptée à toutes les tailles, et d’une lame qui se verrouille.
Ces couteaux sont-ils des "tactiques" ? Les deux exemples ci-dessus le prouvent. Sont-ils interchangeables ? Ces deux exemples montrent que non ! Aussi semblables, deux couteaux puissent-ils sembler dans leurs destinations, c'est l'emploi qu'en font les "spécialistes" sur le terrain qui détermine le choix de manière extrèmement précise ; ainsi, se portant sur des premiers prix, ils ne se privent pas pour autant des qualités qui leur sont nécessaires. Quand on pense que l'Opinel est un couteau des montagnes et qu'on l'utilise avec une telle efficacité en mer ! L'Opinel et le Douk, économiques, ont donc des défauts flagrants, mais dont l'importance est relative, voire négligeable, même en usage intensif en conditions dures, si le choix fut judicieux au départ.
On pourra aussi être sensible au fait que l'un a la force et l'austérité du tout métal, l'autre la tendresse et la chaleur du bois.
Enfin, l'Opinel et le Douk me renvoient à l'enfance, et j'imagine n'être pas ici le seul à sentir monter la nostalgie à l'évocation du premier couteau qu'on lui offrit, marquant le temps où l'enfant passe à l'âge où on lui fait cette confiance de porter un objet dangereux, marquant aussi l'avancée vers l'âge d'homme. Je me souviens très bien que les curés nous laissaient librement tailler des bouts de bois avec nos petits Opinel ou nos petits couteaux de 2 à 6 lames ; nous avions 11 ans. On peut se payer un Opinel ou un Douk-Douk avec son argent de poche et la fierté intérieure de l'avoir choisi et acheté soi-même ; voilà qui, dans la vie, est une pierre blanche de son histoire intime.
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Mots-clés : couteaux
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