Couteau LionSteel TiSpine TS1DR GM
Qui l'eût cru ? Une bonne claque aux préjugés.
Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Je l'avoue d'emblée : je me suis longtemps fourvoyé à propos de ce couteau. J'avais beaucoup de préjugés sur les couteaux transalpins, ayant eu par le passé de mauvaises expériences : jolis designs mais niveaux de finitions insuffisants, dont découlent des usures prématurées.
Ces derniers mois, je suis souvent allé chez Raoul Fioretti, pour voir et toucher du couteau, et surtout pour papoter. Raoul est un conseiller avisé, avec une philosophie du couteau très proche de la mienne. Il m'avait déjà montré ce couteau, en m'en disant le plus grand bien. Plein de mes a priori, j'avais jeté un oeil distrait et m'était dit : "Bôf, c'est de l'italien.." Etais-je donc sot ! D'autant plus que Darksun avait confirmé les qualités de ce fabriquant : ici, là et là. Mais je trouvais ces couteaux un peu complexes à mon goût.
Bon sang ! Mais c'est bien sûr !
Hors donc, l'autre jour, je suis retourné chez Raoul, histoire de causer sur nos thèmes préférés, comme "le prix passe, la qualité reste". D'autres clients étaient là et j'ai écouté Raoul leur parler de ce couteau. Et j'y ai jeté un coup d'oeil plus sérieux.
Et je suis reparti avec un Lionsteel TiSpine, TS1DR GM. TS pour TiSpine, 1 pour le premier modèle de la série, DR pour Damas Raindrop et GM pour Gris Mat.
Transalpintlantique.
Ce modèle a été créé par la rencontre de deux personnes, Gianni Pauletta, PDG de LionSteel, entreprise très familiale, et de Robert Young Pelton, journaliste américano-canadien et un des derniers grands reporters de guerre. Ils disent qu'en rentrant de l'IWA à Nüremberg, dans la voiture, ils en ont parlé et qu'à l'arrivée à Maniago (le Thiers italien), le couteau était dessiné. Il est donc très influencé par les modèles américains.
Quelques mots sur LionSteel. Comme beaucoup d'autres entreprises coutelières italiennes, c'est plus qu'une affaire de famille, c'est une histoire de famille. Père, fils, mère et épouses y travaillent. Le nom viendrait d'un Lion sculpté dans le métal, fait par un des grands pères. Quant à "RYP", il fait partie d'une profession en voie d'extinction, "reporter de guerre", qui était déjà une activité atypique dans le monde du journalisme, au moment où les rédactions tendent à se réduire comme peau de chagrin. Il a fondé en 2011 DPx Gears pour obtenir le matériel nécessaire à ses équipées.
Enfin, sur ce modèle en particulier, l'acier de la lame est un damas multicouches de Chad Nichols, forgeron américain et producteur de damas bien connu. Mais j'y reviendrai.
Segment.
J'ai des difficultés à catégoriser ce couteau.
EDC, c'est sûr du fait de ses mensurations, Gentleman Folder aussi par la qualité des finitions et la richesse de ses matériaux, même si on est en limite haute car c'est déjà un grand couteau.
Tactique ? On ne dirait pas mais en fait si, du fait des options techniques retenues. Mais il n'en a pas le look et tous les attendus.
Voilà ce qu'en dit son créateur : "Personne n'avait créé le couteau de Gentleman le plus simple et le plus durable du Monde. Je voulais créer le couteau le plus léger et le plus élégant qui n'ait jamais été fait."
Simplicité et résistance dans le temps, légèreté, c'est déjà du tactique. S'ajoute l'élégance. Etudions-le et on verrra où le placer.
Mensurations.
Je n'ai pas le talent de Darksun pour faire des études précises et, en plus, je suis feignant. Alors je vous produis un copié-collé des données officielles :
Longueur totale : 195 mm. - 7.68 in.
Longueur de lame : 85 mm. - 3.35 in.
Epaisseur de lame : 3.5 mm. - 0.14 in.
Poids : 100 gr. - 3.53 oz.
Matière du manche : Titanium
Acier : Damascus Inox Chad Nichols
Au doigt mouillé, avec activation du pifotron, un couteau de moins de 20 cm avec une lame de 8,5 cm, c'est très bon. Surtout que le tranchant utile est de 8,5 cm aussi (ça, je l'ai mesuré). C'est donc totalement optimisé pour les ratio de manche/lame/tranchant pour un poids de 100 gr.
Le premier critère de RYP est rempli : c'est léger. Et c'est plat : l'épaisseur du manche est de 1 cm, même s'il s'élargit vers l'arrière de deux milimètres. Mais attaquons le manche.
Monobloc.
C'est, naturellement un des gros "plus" de ce couteau : le manche est taillé dans un bloc unique de titane 6Al4V comme le Lochsa. Avantages immédiats : c'est ultra-rigide et la visserie disparait. Il y a la vis du pivot et la vis du stop pin. Point à la ligne.
C'est donc un gain de poids et de fiabilité, sans compter l'aspect esthétique : le manche est épuré.
Tout au fond de la cavité, ils ont laissé les traces de la fraiseuse, créant ainsi des sortes de "côtes de Genève" comme sur les montres de luxe, mais ultra courtes. Un raffinement caché.
C'est un manche assez linéaire, avec une belle courbure, qui devient plus haut vers l'avant pour prévenir le glissement de la main vers la lame. La préhension est renforcée par le traitement de surface "fluted" du manche. Le centre de gravité des lignes est situé, approxativement, au point postérieur de l'encoche du manche qui donne accès au thumbhole.
L'ergonomie est parfaite et malgré l'épaisseur du manche assez faible, le couteau "tombe" en main parfaitement quelle que soit la prise. Ce n'est pas le couteau le plus sécurisé mais pour un usage normal ou un peu sévère, c'est largement suffisant.
L'arrière du manche comporte un trou pour y passer une dragonne, ce qui est assez singulier sur un gentleman folder.
Le clip en acier, qui aurait pu être en titane quand même, permet un port profond car il est fixé au talon du manche, comme sur le PPT ou sur certains William Henry. Le couteau disparait en poche et comme le clip est long sans être trop serré, il fait parfaitement bien son travail de rétention. Le clip porte le nom de la marque et la mention"Italy", libérant le couteau d'une littérature abondante et sans aucun intérêt. Le clip, qui place le couteau en position tip-up, n'est pas réversible. Il devrait donc exister des modèles "gaucher".
L'encoche dans le manche permet un accès facile et intuitif au framelock, l'ouverture et la fermeture sont faciles. J'aime moins le grand espace de découpe du frame. L'élasticité du frame est obtenu par une unique encoche extérieure. En tous cas, ça claque bien et le frame est nickel : j'ai tapé violemment le dos de lame à plusieurs reprises, ça ne bouge pas. Il n'y a pas d'interface en acier fixée sur le frame. Celui-ci semble être trempé, cela se voit à la couleur du titane et , malgré une surface de contact limitée, il fonctionne parfaitement : aucun jeu vertical, ni latéral. Il n'y a pas non plus de dispositif pour limiter la poussée sur le frame, comme un disque Hinderer mais le clip y participe. Enfin, même en appuyant comme un malade, le frame ne se surengage pas vers la platine opposée.
Tout cela est possible grâce à une fraiseuse à conduite numérique commandable sur quatre axes, selon les informations de LionSteel. Certes, ce n'est pas de l'artisanal mais ça fonctionne au micron près !
Premier Damas.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est la première lame damas dont je me dote !
Je vais essayer de faire court. Le damas, au court des siècles, a été développé pour combiner les différentes qualités des aciers dans une même lame. On gagne de la coupe, de la résilience et de la dureté avec chaque couche. Avec les technologies modernes, notamment les aciers frittés (technologie des poudres, aciers très carburés, aciers inox), on obtient tout cela dans une même couche, sans avoir à faire des sandwiches longs et fastidieux à fabriquer. Reste l'aspect esthétique : le damas est beau, c'est de la broderie d'acier.
La lame est donc en damas inox raindrop (goutte de pluie) de Chad Nichols. Il y a très peu d'informations sur sa composition. C'est un multicouche de AEB-L avec un faible pourcentage de 304. Quand on voit la composition chimique des deux aciers, on ne bondit pas de joie. Ce sont deux aciers très purs mais avec des taux de carbones très faibles : 0,67 % pour le premier et 0,08 % pour le second. Donc cela devrait couper comme un pied de biche. Mais non, le tranchant d'origine est très agressif, c'est parce que le multicouche crée les microdentures que la chimie n'a pas créé. Comme en cuisine, on change les recettes ( vieille cocotte en fonte ou autocuiseur ultra rapide), le goût est souvent le même, à partir du moment où les ingrédients sont d'excellentes qualités et le cuisinier au top !
Pour une fois on dépasse les 7,5 cm de taille de lame qui semblent être la norme des Gentleman folders. Enfin on a une lame qui permet de faire plus de choses avec un tranchant utile égal. A propos de ce tranchant, il est très plat en sortie de boîte, je l'ai rapidemment modifié en tranchant convexe. J'ai donc testé l'aiguisage qui est relativement facile. L'acier est trempé entre 58 et 60 HRC, selon ce qu'on peut savoir par les forums. On obtient des tranchants rasoirs durables sans grande difficulté.
La lame gentillement ventrue est de géométrie drop point avec un faux contre tranchant trapézoidal qui lui donne un aspect presque clip point. Comme pour un tactique, c'est une émouture plate, très haute, qui a été retenue plutôt qu'une émouture creuse. Combiné avec une épaisseur de 3,5 mm, quand même, on obtient un bon compromis de coupe/résistance.
L'arrière de la lame comporte une courte surface crantée pour le pouce qui n'est pas du tout abrasive mais qui fait le job très efficacement.
Comme sur un tactique , on retrouve un "hole" dans la lame, hyper versatile même avec des gants. Sa forme de parallélépipède irrégulier confère une tranquillité à l'aspect, sans altérer l'efficacité.
Le stop pin, d'une dimension moyenne, bloque le talon de la lame qui a une surface plane comme sur les Mayo, à l'inverse des Sebenza et des PPT, où il y a une encoche sur le talon de la lame qui vient s'encastrer sur le stop pin.
L'axe du pivot est de taille moyenne mais comme le manche est monobloc la rigidité est parfaite. Aussi parfaite que l'ouverture et la fermeture de la lame qui sont très fluides. Cette fluidité est assurée par deux rondelles en téflon de part et d'autre de la lame. Certains auraient préféré des rondelles métalliques. Pour ma part, je n'ai jamais pris en défaut ce type de rondelles sur mes autres couteaux (Lespect, Thiel...).
La bille de rétention de la lame est ultra-efficace. Je l'ai secoué violemment, la lame ne bouge pas. Une ouverture malencontreuse semble donc fortement exclue.
Hybride synthétique
Je l'ai ostensiblement sorti au restaurant lorsque la serveuse m'a amené l'entrecôte commandée. Au lieu de s'enfuir en hurlant et en agitant les bras haut dessus de sa tête, la jeune femme m'a dit : "Oh ! C'est beau, c'est quoi ?". L'aspect Gentleman se confirme.
Pas de flipper, ni d'intercalaire de frame, deux vis et c'est tout, pas de roulements à billes qui s'encrasse, c'est une mécanique simplissime : ça, c'est tactique.
Un frame, un pivot et un stop pin de tailles suffisantes sans être surdimensionnés, look pas du tout agressif, il ne rentre pas non plus dans tous les codes du "takeutikeul".
On peut donc dire que l'on est en présence d'un modèle hybride : suffisamment tactique pour soutenir un usage dur à très dur mais pas extrême, et suffisamment gentleman pour "se fondre dans le paysage". C'est un Gentleman tactique et, rien que ça, c'est très fort. D'ailleurs, dans la gamme LionSteel, il n'est pas classé avec les "folding knives" mais avec les "solid knives".
En fait, je pense que ce couteau est une synthèse parfaite de tout ce qui a fait le succès des couteaux les plus célèbres : simple comme un Sebenza, monobloc comme un Lochsa, ergonomie et design efficaces et simples comme un Mayo, ultra fini comme un Elishewitz.
Ce couteau rassemble tout ce qu'il y a de mieux à des prix très largement inférieurs à ceux des couteaux précités. D'autant que le modèle avec une lame en Elmax (excellent acier) est encore moins cher que la version damas.
Ce que j'apprécie le plus :
- monobloc
- mécanique simple et efficace
- ergonomie
- look détendu
- enfin un gentleman folder avec un tranchant assez long
- port profond en poche
Cela faisait très longtemps que je n'avais pas été aussi enthousiasmé par un couteau, celui-ci vaut vraiment le détour car c'est un industriel de niveau "custom". C'est, à mon sens l'une des plus grandes réussites de ces dernières années. LionSteel a été d'ailleurs récompensé au Blade Show de 2014.
En revanche, je n'ai pas encore assez de recul pour pouvoir le juger dans la durée. Mais je ne manquerai de faire part de mes observations quand j'aurais plus testé la bête.
Et encore merci à Raoul Fioretti.
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Mots-clés : Couteaux Lion Steel
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